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Arts-chipels.fr

Sur les cendres en avant. Un optimisme de comédie musicale qui puise sa force au fond de la déglingue.art

Sur les cendres en avant. Un optimisme de comédie musicale qui puise sa force au fond de la déglingue.art

Quatre comédiennes-chanteuses et une pianiste, manipulées par un homme-orchestre à la fois auteur, compositeur et metteur en scène, se livrent à une ballade de café triste dans des appartements dévastés. Elles chantent la moderne goualante de celles qui n’ont pas eu de chance mais aussi l’espoir de s’en sortir.

Lorsque la lumière se fait sur le plateau, deux espaces distincts, délimités par un quadrillage de chatterton au sol, apparaissent comme des tracés de plan. Embryon d’un décor qui n’existe pas dans lequel le déplacement du chatterton ouvrira ou fermera selon les besoins des portes invisibles. Ce sont les deux appartements où se noue l’histoire. Une voix off détaille, de manière ironique, la situation : l’absence – prétendue – de moyens du spectacle qui rejoint l’absence – réelle – de ressources des personnages. Narratrice décalée, elle commentera pendant  tout le début du spectacle le déroulement de l’intrigue qui s’installe.

Côté cour, dans le premier appartement, un mobilier à moitié détruit, bancal, noirci. Un incendie vient de s’y produire et la cloison qui séparait les deux appartements s’est effondrée. Les chutes de gravats ne cesseront de ponctuer l’histoire. Côté jardin un mobilier sans style, banal, sans âme, sans histoire. L’appartement qui a brûlé est occupé par une femme que ses enfants – combien ils sont au juste et quel âge ils ont, elle ne semble pas le savoir elle-même – ne visitent jamais. De l’autre côté de ce qui fut une cloison, une jeune femme et sa sœur, que leur père a délaissées survivent comme elles peuvent. L’aînée se livre à la prostitution en espérant pouvoir procurer à sa cadette, encore à l’école, un peu de bien-être.

(c) Giovanni Cittadini Cesi

(c) Giovanni Cittadini Cesi

Une comédie musicale sur fond noir

Il faut dire qu’elles ne parlent pas, ces femmes. Elles chantent sans que jamais un embryon de dialogue parlé, une bribe de texte ne vienne donner une apparence de réalisme à la situation. Elles ne célèbrent pas le monde merveilleux et factice, empli de luxe et des paillettes des musicals où tout est beau, net, propre et gai. Leur univers, c’est Chantons sous la pluie version noire, le désespoir en habits de musique dans le no future de leur existence. Elles ont touché le fond de la solitude pour l’une, des difficultés à simplement survivre pour l’autre, et à faire vivre sa jeune sœur qui, pour affiner ses jambes pour danser, se râpe consciencieusement les mollets. N’était le happy end final on pourrait se croire du côté du drame. Mais elles ont touché le fond et ne peuvent que remonter à la surface dès lors qu’elles comprennent qu’ensemble, elles ont une issue. La référence à Jacques Demy et aux Parapluies de Cherbourg, où la référence à Chantons sous la pluie apparaît aussi, est manifeste. La musique  elle, a des faux-airs de Michel Legrand, complice de Demy dans ses aventures d’une comédie musicale à la française. Quant au choix de Nicole Croisille pour la voix off, il n’est pas innocent. Celle qui incarna la voix emblématique d’Un homme et une femme de Claude Lelouch ajoute à ce regard « à la française » que propose Pierre Notte.

(c) Giovanni Cittadini Cesi

(c) Giovanni Cittadini Cesi

Rire de tout avant toute chose

La situation a tout du mélo larmoyant-sortez-vos-mouchoirs et pourtant elle dérape sans cesse vers un humour noir, un peu grinçant, qui fait feu de tout bois avec le comique de situation. Comment, pour la jeune sœur, boire du lait de vaches normandes alors qu’elles ont payé un lourd tribut à la guerre et mériteraient de vivre tranquillement le reste de leur âge ? Que faire d'un épluche-légume quand on n'a plus un radis? Comment, quand on se regarde en chiens de faïence comme les deux voisines, vivre la promiscuité ? Surtout quand l’une doit se prostituer sous le regard de l’autre, l’autre se faire le témoin d’ébats supposés qu’elle réprouve. Il faut dire aussi que la situation s’envenime avec un baiser au goût cannelle qui semble lier la voisine à la jeune sœur. Les coups de théâtre se succèdent, les révélations inattendues aussi. Surgit, fusil à la main, la femme du client de la prostituée, avec l’intention manifeste de faire table rase. Mais rien ne se passe comme prévu. Les révélations sur l’attitude du client, un forain en pleine crise mystique, le retournement de l’épouse du forain qui rejoint le groupe des femmes assemblé là par les hasards de la déveine ajoute à cette dérision permanente qui vient tempérer la noirceur de la situation.

Elles sont touchantes, ces femmes, dans leur détresse chantée, elles nous font rire de leurs travers, de leurs mésaventures. Elles sont aussi formidables dans leur volonté de s’en sortir, ensemble. Menée sans temps mort, cette intrigue pleine d’humour diffuse un parfum doucement féministe qui lui va bien au teint.

Sur les cendres en avant.

Texte, musique et mise en scène : Pierre Notte

Avec : Juliette Coulon, Blanche Leleu, Charlotte Marquardt, Elsa Rozenknop, au piano Donia Berriri, et la voix off de Nicole Croisille

Théâtre du Rond-Point, 2 bis avenue Franklin-Roosevelt – 75008 Paris

Du 22 novembre au 30 décembre 2018, à 20h30

Tél : 01 44 95 98 00. Site : www.theatredurondpoint.fr

En tournée

Le 29 janvier 2019, au théâtre d’Aurillac

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