15 Octobre 2018
On est dans un théâtre en chantier, des bouts de décors un peu partout.. La pièce commence avec les cinq comédiens assemblés autour d’une planche posée sur des tréteaux dans un coin du plateau. On assiste « en direct » à la création de la pièce et à tous les tâtonnements et tergiversations d’une entreprise de cette ampleur ; avec comme principe fondateur : de fonctionner sous une forme démocratique.
Après Le Prince de Machiavel, Laurent Gutmann théâtralise les idées du grand penseur de la démocratie et de ses dérives, Alexis de Tocqueville. Un gros challenge que les comédiens annoncent d’entrée de jeu. Comment faire un spectacle avec les idées, et plus précisément avec les textes de Tocqueville car les phrases intégrales sont reprises tout le long de la pièce. Et la question non formulée mais bien présente est comment en faire un spectacle non rhétorique ? Ainsi, sur scène, les cinq acteurs réfléchissent à la manière de représenter la démocratie au théâtre en essayant d’en appliquer les principes à eux-mêmes. Mise en abîme intéressante et challenge réussi, même si parfois on peine un peu à suivre les textes, même si j’aurai aimé que l’exercice soit poussé encore un peu plus loin. Il manque la part de déraison et d’emportement que toute entreprise « de création démocratique » comporte me semble t’il.
En cela il illustre bien les principes formulés dans « De la démocratie en Amérique » qu’Alexis de Tocqueville a publié en 1835 et 1840 avec pour ’idée principale que la société démocratique c’est l'égalité des conditions. Plus précisément, l'égalité des conditions est conceptuelle, n'annulant pas l'inégalité économique, mais modifiant cependant l'ensemble des relations entre les hommes. Ainsi, l'égalité des conditions implique l'absence de castes et de classes tout en indiquant qu'elle n'équivaut pas à la suppression de la hiérarchie sociale ou politique. En cela Alexis de Tocqueville se démarque de ces contemporains sur les sujets de castes et de classes. Personne ne naît au-dessus des autres, c’est une remise en cause de l’aristocratie et de ses valeurs et ainsi l'égalité des conditions se redéfinit sans cesse et ne peut se dissocier de la dynamique sociale.
Ainsi, cet exercice « en direct » fonctionne. La mise en scène de Laurent Gutmann met bien en avant la difficulté de concilier liberté et égalité, libéralisme et démocratie. Et également et c’est là que cela devient vraiment intéressant il met en évidence la soumission délibérée à l’autorité sous couvert du respect du choix de la majorité. Cet aspect est assez fascinant et représente un principe que nous appliquons également tous les jours dans nos sociétés modernes. Il est aussi très bien décrit par les écrits d’Alexis de Tocqueville. En cela le texte est profondément et incroyablement actuel. Alexis de Tocqueville avait perçu avec clairvoyance, à travers la jeune démocratie américaine de son époque tous les travers que nos démocraties modernes traversent actuellement avec la montée du populisme et de l’extrême droite partout dans le monde.
DE la démocratie, une belle leçon de vie.
écriture et mise en scène : Laurent Gutmann
avec Stephen Butel, Jade Collinet, Habib Dembélé, Reina Kakudate, Raoul Schlechter
scénographie Marion Savary et Adrienne Romeuf
son Madame Miniature
costumes Axel Aust
lumières Yann Loric
au théâtre 71 Malakoff
du 10 au 18 octobre 2018