18 Août 2018
Cette évocation en forme d’autoportrait raconte les errances et la recherche d’on ne sait quoi – mais le sait-elle elle-même - d’une femme qui se construit. Un roman d’apprentissage à la première personne traversé de doutes, d’espoirs déçus pour une vie comme il en existe des milliers.
Cette histoire commence comme des milliers d’autres histoires. Une femme cherche, encore et toujours, une reconnaissance dans le regard de l’autre. Oh, pas de l’amour, seulement du sexe, seulement exister, l’espace d’un moment, sortir de soi, s’oublier. Mais même cela est du domaine de l’impossible. Il suffit ensuite de dévider un peu plus la pelote pour remonter peu à peu dans l’histoire de cette femme et pénétrer de plus en plus profondément dans ce qui la constitue.
Il y a d’abord l’ennui, le mal de vivre, les situations provisoires dans lesquelles on s’installe, les appartements qu’on partage faute de moyens, le caractère approximatif, sans relief, d’une vie faite de petits boulots alimentaires. Les colocs avec qui l’on se frotte avant de se friter. Les hôtes d’un jour pour des relations éphémères, mal ficelées, sans avenir. Et puis les rencontres, les rendez-vous manqués ou déceptifs tel cet homme-fleur dont les tatouages gravés sur toute la peau forment un paysage animé et changeant mais qui reste, comme toujours, sur le bord du chemin. Il faudra des années de situations pourrissantes, de demi-mesures et d’aventures ratées pour que la femme parvienne à se trouver, du moins en partie. L’écriture sera son havre et, à défaut de mieux, une manière de s’accepter en attendant sans l’attendre le moment où sa vie changera à nouveau, peut-être.
Les voies impénétrables de la haine et de la colère
L’histoire, n’était l’aventure de l’écrivain dont la passion ne transparaît que peu dans le récit, peut apparaître comme plutôt banale. La vie au ras du vécu, la routine implacable des jours qui se ressemblent et le style qui va avec : propre, sans aspérité, désabusé comme il se doit, voire légèrement ironique. Mais voici que du cours inaliénable, ininterrompu et sans histoire des jours émerge l’enfance de la narratrice. Une vie de privations sociales et de restrictions, une vie de petites économies, à compter les centimes qui feront le repas de demain, à se rétrécir et se préparer pour affronter, mal fagotée, le regard des bourgeois faussement bohèmes et désargentés avec lesquels elle vit. Alors le récit s’anime, la colère bouillonne, l’indignation tend les phrases, la haine la saisit. Une haine brute, sans fioriture, sans système de sécurité, sans airbag. Une haine brûlante, décapante, qui consume la tête et le corps. Paradoxalement, c’est à travers elle que la narratrice trouvera le salut, l’énergie nécessaire pour s’extraire de la gangue et se trouver elle-même. Et le lecteur un intérêt pour l’histoire…
Désintégration d’Emmanuelle Richard (éditions de l’Olivier, 2018)