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Arts-chipels.fr

Le Paradoxe d’Anderson. Un roman plein d’humanité sur la descente aux enfers d’une famille ouvrière.

Le Paradoxe d’Anderson. Un roman plein d’humanité sur la descente aux enfers d’une famille ouvrière.

Ce roman de Pascal Manoukian décrit sans misérabilisme le drame de nombre de familles ouvrières confrontées à la délocalisation et à la reprise des usines par des fonds de pension insoucieux des travailleurs impliqués. Le tragique y flirte avec le cocasse dans une langue imagée et pleine de trouvailles.

Leur travail est dur mais Aline et Christophe sont heureux. Le grand-père, surnommé Staline, était un rouge, un vrai. Eux, ils ont des crédits sur le dos mais s’en acquittent. C’est le moment où la maison de leurs voisins, rattrapés par des dettes impossibles à rembourser du fait de la crise qui touche la région – dans l’Oise, près de Beauvais – est vendue à bas prix et où de nouveaux voisins, bourgeois aisés, s’installent. Leur fille et le fils des voisins se rapprochent, deviennent inséparables.

Mais voilà que l’usine d’Aline est partiellement délocalisée – sans doute avant fermeture totale – et qu’Aline fait partie de la charrette qu’on renvoie aux oubliettes. Au même moment, l’usine de verrerie de Christophe est rachetée par un fonds dont on suppose, en dépit des dénégations officielles, qu’il va s’attaquer aux emplois. C’est la grève. Et avec elle la précarité, les crédits qu’on ne peut plus rembourser, l’huissier qui vient frapper à la porte.

Mais Léa passe son bac et Aline et Christophe décident de cacher la vérité à leurs enfants. Ils se chauffent au bois pour éviter de payer le chauffage en alléguant que c’est plus drôle puis, quand toutes les astuces pour masquer la vérité ont été épuisées, se muent en cambrioleurs d’occasion. En piochant d’abord discrètement dans les réserves des voisins avant de s’attaquer aux supérettes du coin pour ne récupérer que le strict nécessaire. « Bonux and Tide », comme on les surnomme, sont nés. Ils frapperont de plus en plus fort.

Mais cette situation ne peut durer éternellement et sa conclusion laisse de côté l’humour qui traverse le roman de bout en bout. Le paradoxe d’Anderson veut que la velléité d’ascension sociale par les études et les diplômes puisse se solder au bout du compte par une difficulté à trouver du travail et par un déclassement.

Un humour décapant et plein de compassion 

Cette situation tragique, Pascal Manoukian ne l’exprime pas sur un ton dramatique. Tout au contraire, il recourt à cette politesse du désespoir qu’est l’humour. Le cocasse y côtoie le drame. Sa galerie de personnages est haute en couleurs. Staline, le grand-père qui dévide son couplet révolutionnaire en plein Jeu des 1 000 francs est impayable. Son huissier a le blues du bourreau. Les parents qui voient le ciel leur tomber sur la tête sans issue possible continuent, envers et contre tout, de faire comme si, et mieux encore, au foie gras et au champagne, dans le rire en dépit de l’angoisse. La compassion sourd à chaque pas dans cette évocation. Celle qui nous fait souffrir avec, qui nous fait partager cette vie qui pourrait être la nôtre. Et puis, Pascal Manoukian parle en images. Des images fortes et qui font mal. « A chaque usine détruite, fait-il dire à l’un de ses personnages qui voit passer les migrations d’oiseaux, après des millions de battements d’ailes, des milliers d’hirondelles ne retrouvent pas leur nid. C’est dégueulasse. La Ligue de protection des oiseaux devrait soutenir les occupations. » On s’amuse beaucoup des commentaires qui émaillent l’ouvrage. Mais s’en dégage aussi une profonde humanité qui nous touche et nous émeut.

Le Paradoxe d’Anderson de Pascal Manoukian (Seuil, 2018)

Photographe, journaliste, réalisateur, Pascal Manoukian a couvert un grand nombre de conflits. Ancien directeur de l’agence Capa, il se consacre aujourd’hui à l’écriture. Il a notamment publié, aux éditions Don Quichotte, Le Diable au creux de la main (2013), Les Échoués (2015) et Ce que tient ta main droite t’appartient (2017).

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P
Merci Sarah de donner envie sans en dire trop. Pascal.
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