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Arts-chipels.fr

Tout va bien se passer. Une plongée douloureuse dans les méandres de la procréation médicalement assistée.

Tout va bien se passer. Une plongée douloureuse dans les méandres de la procréation médicalement assistée.

Tout va bien se passer… Voilà ce que son médecin lui dit au moment de ponctionner ses ovaires dans le processus de la PMA. Tout va bien se passer… Une phrase qui veut tout dire et ne rien dire à la fois, une forme de souhait, d’évidence de l’expertise, une phrase vide et pourtant pleine, d’indifférence à la souffrance, à la douleur, à la femme, à l’humain.

C’est dans une salle sombre, vibrant au rythme lent de la basse du musicien, avec pour seul éclairage la lumière crue des néons bleus, que le spectateur pénètre. Au sol une bâche noire, au fond, une cabine de douche carrée et transparente, le robinet ouvert, l’eau coulant à flot, sur scène deux fauteuils noirs. L’atmosphère est angoissante, étouffante, quoique froide et aseptisée, une forme d’appréhension monte en nous, de la même nature que celle que l’on ressent avant un examen médical dont l’issue est incertaine. L’actrice entre en scène. Par son attitude corporelle comme par sa voix, nous comprenons qu’elle va nous conter l’histoire d’une chute. « Que reste-t-il de soi, d’une femme, jambes écartées dans les étriers sous la lumière crue ? »

 

Le désir de la procréation face à la résistance d’un corps

Ce que cette femme nous conte c’est l’histoire apparemment banale de son désir d’enfant. Lorsque le corps ne s’y prête pas, présente des différences qui compliquent ce processus, c’est au corps médical qu’il faut s’en remettre pour espérer y parvenir un jour. C’est alors dans une procédure longue et difficile, qu’elle se retrouve embarquée. Il s’agit d’abord de se rendre au « pavillon des assistés en procréation ». Celui-ci est en grande banlieue, accessible par un train et deux bus. Ensuite il y a l’attente, dans la première salle, dans la deuxième salle, les visages blêmes, le personnel indifférent, l’angoisse à toutes les étapes, les ponctions, les allers-retours entre Paris et la banlieue pour récupérer les paillettes de l’homme grâce auquel la fécondation pourra avoir lieu, la pression du temps. Les échecs, nombreux. Puis le miracle se produit : un espoir, un œuf soigneusement couvé. Il est arrivé à maturité, il est temps de le ponctionner, et elle a de la chance, c’est entre les mains d’un éminent professeur qui exerce depuis 40 ans qu’elle est, entre de bonnes mains, « tout va bien se passer ».

Jambes écartées, dans les étriers, son corps exposé, dans une expectative anxieuse, elle blague avec le professeur, une manière de faire redescendre la pression, de créer du lien, et elle le sait, elle est entre de bonnes mains, « tout va bien se passer ». Pourtant pourquoi ne l’anesthésie-t-il pas alors que les fois précédentes, elle l’avait toujours été ? C’est la procédure normale pour une fécondation in vitro, lui rétorque l’infirmière. Mais ses ovaires ne sont pas normaux, alors pourquoi la procédure n’est-elle pas adaptée ? Ainsi commence une descente en enfer. À la douleur, à la ponction ratée qui l’emmènera aux portes de la mort, au dédain du médecin et à la dépréciation de son cas qui la projetteront aux portes d’une insupportable déshumanisation s’ajoutera l’anéantissement de son dernier espoir.

 

D’un combat individuel à la critique d’un système inique

À travers ce texte, Maïa Brami livre un témoignage brut et sans compromis. Tout en racontant la souffrance d’une femme, les ratés médicaux, elle expose la manière dont celle-ci, même démunie, se raccroche à la vie, tente de se relever, n’abandonne jamais le combat. Et à travers ce combat, c’est son humanité qu’elle préserve, ses désirs, ses espoirs, ses rêves, ceux auxquels n’importe qui a le droit d’aspirer. Cette femme se heurte à un système fermé où l’empathie n’a pas sa place, où les individus cessent d’exister en tant que tels. D’une part, c’est l’indifférence à la souffrance qui est ici pointée. D’abord avec l’éloignement géographique du pavillon où a lieu la PMA, une forme d’exclusion, de rejet de la femme « pas naturelle », celle qui ne peut pas procréer. D’autre part, en obligeant ces femmes, qui subissent des opérations, somme toute assez lourdes, à procéder à des allers-retours immédiatement après et dans la même journée, sans tenir compte de leur douleur. D’autre part, c’est l’ensemble du système médical qui est critiqué, son indifférence. Celle des infirmiers dont les rires retentissent depuis leur foyer de repos dont la porte est laissée grande ouverte, incapables de rassurer ces patientes transies qui attendent dans chacune des salles, presque méprisants, violents même. Celle de l’éminent professeur, sa condescendance, son assurance mal placée, sa désinvolture menant à une forme de cruauté. Celle des internes, bien plus intéressés par leur rencontre avec la célébrité médicale que représente le professeur que par la patiente qui est entre la vie et la mort. Enfin, sont pointés du doigt une négligence dans le traitement du patient, une mauvaise connaissance du dossier et la minimisation de chacune des erreurs médicales.

Si l’on comprend la colère qui sous-tend la pièce, peut-être faut-il la nuancer. On ne peut oublier aujourd’hui le nombre croissant de burnout et de suicides dans le personnel médical justement parce que ses membres ont le sentiment de ne pas avoir assez de moyens pour bien traiter leurs patients, qu’ils sont submergés de travail et travaillent souvent bien plus d’heures que ce pourquoi ils sont payés. Si l’on prend en compte cette autre réalité, peut-on les accuser sans équivoque d’une indifférence absolue ? Cette indifférence apparente ne résulte-t-elle pas aussi de la nécessité de se protéger ? Sans eux, les internes, les infirmiers, les médecins, la PMA ne pourrait, justement, avoir lieu. Plus qu’une critique du seul personnel médical, peut-être est-ce la dureté d’un système libéral qui pousse vers cette déshumanisation qu’il faudrait remettre en question.

 

Rendre perceptible l’indicible : une mise en scène rythmée et poétique

La mise en scène nous transporte au cœur de l’intimité du personnage. Grâce à l’accompagnement musical, à un texte scandé construit comme une musique, on suit les peines, les questionnements de cette femme au plus près de son être. Le texte se veut sans détour, décrit les déchirements de la chair. Le spectateur se laisse naturellement embarquer et revit presque lui-même l’horreur de la situation. Bien que la mise en scène transpose cette réalité sur le plan poétique, le texte n’évite pas certains poncifs – en particulier dans ses associations symboliques, telle la mise en perspective des cuisses tremblantes de la mère qui ont donné la vie avec celles de la fille à qui cela est refusé – liés à cette volonté de mettre à nu la situation vécue à travers un texte qui nous permet de palper le personnage dans son intimité la plus profonde, une constante dans un grand nombre de pièces actuelles. Elle peut apparaître comme le pendant du théâtre des années 1970, qui mettait en avant un surréalisme parfois grandiloquent pour poser des questions universelles. Ce nouveau théâtre privilégiant l’ultra-réalisme, mettant au centre l’individu a, à sa manière, la même volonté d’élargissement, d’universalité. La question est de savoir s’il y parvient et si, sous le cas individuel, il touche le général.

 

Tout va bien se passer de Maïa Brami

Mise en scène : Coralie Emilion-Languille et Bruno Fougniès

Ecriture musicale : David Kpossou

Interprétation : Coralie Emillion-Languille et David Kpossou

Théâtre de la Reine Blanche – 2, bis passage Ruelle, 75018, Paris

Tél. 01 40 05 06 96 – reservation@reineblanche.com

Du 7 au 23 juin à 19h, relâche le 20 juin

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