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Arts-chipels.fr

Le Rêve américain, du pop art à nos jours. Les reflets de jours heureux qui prennent du plomb dans l’aile

Le Rêve américain, du pop art à nos jours. Les reflets de jours heureux qui prennent du plomb dans l’aile

La Fondation Custodia présente une large sélection d’estampes qui témoignent de la créativité de l’art américain, des années 1960 à nos jours. Une visite à ne pas manquer.

Organisée en collaboration avec The Terra Foundation for American Art et le British Museum, dont les collections ont permis ce choix d'estampes, cette exposition atteste de la vitalité de l’art américain, moteur de l’art contemporain du dernier demi-siècle. Le choix de l’estampe plutôt qu’une approche généraliste incluant l’utilisation d’autres supports souligne l’importance que le thème de la reproduction occupe dans cette phase de l’histoire de l’art.

Pop art, le vertige consumériste

Lorsqu’explose le pop art à l’aube des années 1960, la prospérité économique et le développement tous azimuts de la production semblent une manne inépuisable. Consommation, publicité sont les maîtres-mots d’une société à la faim inextinguible. Un vertige que ne manquent pas de pointer du doigt les artistes de l’époque, le dénonçant dans des œuvres monumentales qui se veulent miroir critique, et à travers la duplication des œuvres d’art par la sérigraphie, pied-de-nez à la valeur marchande de l’œuvre d’art unique. Ainsi seront les collections de Marilyn, icône de la célébrité et du star system repeinte de couleurs vives à partir de photographies, ou la série des Jackie qui met en scène l’épouse du président américain. L’hédonisme coloré de bleu du mode de vie californien fournit aussi une source d’inspiration, tout comme la bande dessinée que Roy Lichtenstein détourne allègrement pour produire des images mécaniques, à la trame grossie, constituées de touches agrandies masquant le travail de la main. Quant à Minnie Mouse (1975), dont seules les chaussures à talon, trop grandes pour elle, demeurent reconnaissables, elle donne à Willem de Kooning l’occasion d’un détournement qui en macule de manière délibérée l’image trop propre sur elle.

America, America...

Nul mieux que Jasper Johns n’a su manifester cette présence de la nation américaine de l’époque. À travers les séries de drapeaux, déclinés de diverses manières, alliant parfois dans une même œuvre comme dans Flags I (1973) la répétition du thème en utilisant des effets différents comme le mat et le brillant, faisant émerger d’une accumulation de petits traits serrés en 15 couleurs le symbole de la nation américaine, il incarne l’image de l’Amérique triomphante, même si la position qu’adopte l’artiste face à l’hégémonie américaine demeure obscure. Les Two Maps I et II (1966), où Johns explore la carte des États-Unis en deux traitements différents en sont aussi l’illustration. Sur chaque version – l’une apparaissant plus distincte que l’autre – il invite le spectateur à regarder attentivement et renouvelle l’approche d’une image très connue. En ne mentionnant pas les noms des États, il incite le spectateur à regarder la carte comme un objet esthétique et non à la considérer pour sa valeur informative. En imprimant différemment les deux versions – Two Maps I à l’encre blanche sur papier noir, l’autre à l’encre noire sur papier blanc, il inverse le jeu entre positif et négatif, renvoie dos à dos toute tentative d'une lecture monodirectionnelle.

Graphisme et abstraction

Le renouveau abstrait des années 1970 trouve son expression dans la Purple Series de Frank Stella (1973) où se déclinent les formes géométriques qui vont du triangle au dodécaèdre en passant par le carré, le losange, le pentagone et l’hexagone tandis que Josef Albers inclut l’un dans l’autre une série de carrés (I-S LXXIIIb, tiré de Homage to the Square, 1973) dans des tons allant du jaune à l’orangé pour montrer que la position relative des aplats, l’un par rapport à l’autre, entraîne une modification de la perception de leur taille respective. Enfin Richard Serra, avec Core (sérigraphie et pastel à l’huile, 1987), par la densité du noir appliqué sur le papier blanc, crée un relief de la matière où le noir cesse d’être neutre pour devenir vivant, changeant sous la lumière, et rappelle l’acier corrodé de ses sculptures.

Espaces critiques

Parfois la critique se fait acide tel ce Vote McGovern (Warhol, 1972) où un Nixon grimaçant, visage verdi, lèvres jaunes, jette un regard faussement débonnaire de yeux orange et adopte une attitude presque menaçante. Le bombardier F111 (1974) de James Rosenquist, déployé durant la guerre du Vietnam, transperce une série d’images du « bonheur » familial américain. Un sèche-cheveux y devient tête de missile, sous un parasol s’élève un champignon atomique. Warhol n’est pas en reste avec les Chaises électriques (1971), une série de sérigraphies de très grand format qu’il entame en 1963, l’année de la dernière exécution capitale avant l’abolition de la peine de mort dans l’État de New York. Ces œuvres font froid dans le dos : les chaises, squelette immobile dans un décor indifférencié, neutre et sans vie, disent l’horreur et la barbarie. Les taches à l’encre rouge répandues sur la version de même couleur révèlent le caractère sanguinaire et inique de la pratique.

Kara Walker, No World, tiré de An Unpeopled Land in Uncharted Waters (2010)

Kara Walker, No World, tiré de An Unpeopled Land in Uncharted Waters (2010)

Le retour du réalisme

Dès les années 1960, certains artistes se détournent du minimalisme et de l’abstraction pour revenir à une forme de figuration. Robert Bechtle crée des images photoréalistes d’espaces urbains, souvent déserts, tout comme les Urban Landscapes de Richard Estes (1972) où façades de snacks, de restaurants d’immeubles forment une réalité reconstituée. Alex Katz et Chuck Close récupèrent cependant certaines des leçons abstraites, dont l’absence de profondeur, pour créer des portraits géants. Le portrait de Philip Glass par Chuck Close, Phil Spitbite (aquatinte en matière de lavis et eau-forte, 1995), composé à partir d’une plaque divisée en 6 800 carrés attaqués à l’acide en contrôlant le temps de corrosion laissé à l’acide afin d’obtenir de subtiles variations de teintes est impressionnant. Kara Walker, artiste africaine américaine, dénonce de son côté les inégalités raciales. S’emparant des silhouettes en papier découpé très prisées à l’époque de l’esclavage, elle les détourne pour représenter un navire négrier chargé d’esclaves qui vogue tandis qu’une femme noire semble se noyer – référence aux « pertes » occasionnées par les conditions déplorables de ces déportations ?

Signe des temps et réflexion sur le devenir des États-Unis : Mel Bochner et Ed Ruscha représentent la disparition du rêve américain. Mel Bochner, avec Going Out of Business (Faillite. Jeter l’éponge, 2012) reprend en couleurs vives l’une des sinistres formules affichées sur les devantures des vitrines après la crise financière de 2008. Quant à Ed Ruscha, traçant en relief et sans encre la silhouette d’une station-service de l’emblématique Standard Oil dans Ghost Station (2011), il transforme en ombre fantomatique et évanescente ce qui fut mais ne sera plus.

Le Rêve américain, du pop art à nos jours. Estampes du British Museum

2 juin – 2 septembre 2018, tlj de 12h à 18h sf lundi

Fondation Custodia – 121, rue de Lille – 75007, Paris

Site : www.fondationcustodia.fr, tél. 01 47 05 75019

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