17 Mai 2018
Il était une fois… une histoire contée et recontée dont chacun conserve, au fond de sa mémoire, des bribes : l’Iliade. Non content de nous faire recoller les morceaux et de nous rappeler les tenants et les aboutissants qui motivèrent cette guerre, ce spectacle, mené tambour battant, nous invite, dans la joie et la bonne humeur, à reconstituer le souffle de l’épopée et à en retrouver la séduction originelle.
Nombreux sommes-nous qui, dans nos jeunes années, avons lu l’Iliade et l’Odyssée, en versions plus ou moins longues, plus ou moins emplies de récits de combats, plus ou moins peuplées des développements lyriques que tout aède digne de ce nom se devait d’ajouter pour ornementer la chose, ou au contraire plus ou moins expurgées pour n’en retenir que les principaux épisodes. N’en demeure pas moins que cette épopée aux rebondissements incessants fait partie de nous et porte en elle un petit goût d’enfance et de lectures arrachées aux parents avant de s’endormir.
Des dieux et des hommes
Quelle histoire insensée d’ailleurs, que l’Iliade : une population entière qui part la fleur à la lance et à l’arc pour récupérer une femme. Fût-elle la plus belle du monde ainsi que la sacra Pâris, le motif semble bien futile, et la raison profonde sans doute plus matérielle, plus impérialiste de la part des Grecs.
Dès le début les dieux et les hommes ont partie mêlée. Dragueurs impénitents, les dieux se sont mélangés aux hommes et ont engendré des rejetons mi-mi. Rien d’étonnant qu’ensuite ils se préoccupent de protéger leur progéniture. Lorsqu’en plus ils se bagarrent plus souvent qu’à leur tour en utilisant les humains et leurs territoires comme terrains de jeux, ça devient carrément chaotique. Faire arbitrer un concours de beauté entre déesses par des humains pour éviter une bagarre divine, c’est du genre tordu. Protéger l’un et faire des crasses à l’autre parce qu’on déteste son divin voisin de palier, c’est franchement pas terrible, mais c’est un peu à cela que nos dieux jouent à travers l’Iliade. L’un des mérites du spectacle est aussi de nous rappeler que l’Olympe n’était pas le paradis et que ces dieux avaient, ma foi, des côtés très humains…
Une histoire de A à Z
La pièce, c’est décidé, nous rapportera l’histoire depuis le début, y compris les épisodes qu’on avait oubliés : la naissance d’Hélène, fille des amours de Zeus, métamorphosé en cygne, et de Léda ; la prophétie qui s’attache dès la naissance à Pâris pour faire de lui le destructeur de Troie et justifie son exil – Hécube, sa mère, rêve qu’elle met au monde une torche enflammée dont s’échappent des serpents ; la mort de Pâris, blessé par Philoctète, qu’Œnone, la femme qu’il a abandonnée pour Hélène, laisse mourir avant de mourir elle-même d’amour, et jusqu’au courroux revanchard d’Ulysse qui, démasqué alors qu’il se faisait passer pour fou pour éviter de partir à la guerre, n’hésite pas à recourir à un faux pour se venger de celui qui l’avait démasqué – pour celui qui passe pour un sage, ce n’est pas terrible. Quant à la malheureuse Cassandre, condamnée, pour avoir repoussé les avances d’Apollon, à prophétiser sans que ses avertissements soient entendus, elle aura beau se répandre, elle n’évitera pas la catastrophe. Troia delenda est… Elle sera la proie des flammes dans un nuage de fumigènes rougeoyants.
L’art des conteurs retrouvé
Le spectacle remonte aux sources de la narration. Conteurs, les comédiens sont à la fois dedans et dehors, dans le personnage et dans le commentaire fait sur lui, dans le « je » et dans le « il ». Ils endossent tour à tour les défroques des Troyens et des Grecs et passent de l’un à l’autre sans transition. Ils sont le choryphée et le chœur. Ils commentent une histoire dont ils sont les protagonistes. Une chaise se transforme en épée, leur accumulation construit le cheval de Troie. Un bout de tissu devient rideau, drapé, soutane à capuche d’où n’émerge que le bras impératif du devin, les comédiens endossent un personnage en ajoutant un accessoire de tissu.
Mais c’est aussi l’essence du théâtre. On se souvient de ces spectacles de Peter Brook où un tapis et quelques bâtons suffisaient à dire un lieu, un décor. Ici, on se retrouve dans ce même univers. Les mondes qui surgissent, sortent du chapeau, sont ceux que ce presque rien dans lequel réside le théâtre, avec ce qu’il est capable de générer : une magie pure, débarrassée des artifices, où le jeu est roi. Les comédiens jouent à jouer. Chaque « épisode », qui porte un titre comme pour nous signifier qu’il s’agit là de tableaux, est revendiqué comme une séquence indépendante du réel et le numéro consiste à faire partager le jeu au spectateur, à lui donner envie d’en faire partie. Les acteurs sont des bateleurs haranguant le chaland. Les mimiques sont outrées, contredisent parfois le texte comme pour le désamorcer et nous, spectateurs, sommes les complices consentants et amusés de ce qui se déroule sous nos yeux. Car on rit beaucoup dans ce spectacle qui tient de la bande dessinée comme du théâtre de tréteaux.
Finalement, n’en déplaise à Monsieur Giraudoux, c’est épatant qu’elle ait eu lieu, la Guerre de Troie !
La Guerre de Troie (en moins de deux !) d’Eudes Labrusse d’après Homère, Sophocle, Euripide, Hésiode, Virgile…
Mise en scène : Jérôme Imard et Eudes Labrusse
Avec :Catherine Bayle, Audrey Le Bihan, Hoa-Lan Scremin, Laurent Joly, Nicolas Postillon, Loïc Puichevrier, Philipp Weissert
Musique de scène : Christian Roux
Scénographie, costumes et accessoires : Cécile Pelletier
Lumières : Laurent Bonacorsi
Théâtre 13, 103A boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris
Du 2 mai au 10 juin 2018, du mardi au samedi à 20h, le dimanche à 16h.
Tél : 01 45 88 62 22. Site : www.theatre13.com