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Arts-chipels.fr

Animato. Une caverne d’Ali Baba musicale pour amateurs de découvertes

Animato. Une caverne d’Ali Baba musicale pour amateurs de découvertes

Le concert-souvenir du Concours international de piano de Tbilissi en Géorgie nous a offert de grands moments musicaux servis par de jeunes interprètes époustouflants

Nous avions évoqué, en janvier dernier, le travail remarquable que réalise cette association, qui aide de jeunes interprètes et plus particulièrement des pianistes à se faire connaître en leur offrant un lieu professionnel où se produire à Paris. Lauréats de grands concours, ils ont la fougue d’une jeunesse pas encore tout à fait policée, mais déjà un talent certain qui ne peut laisser indifférent.

De ce concours de haut niveau organisé par un pays où la musique, plus qu’une distraction, est un mode de vie, deux interprètes étaient à l’honneur : le Coréen Seug-Huyk Na et le Géorgien Giorgi Gigashvili. Un « ancien » était également de la partie : le Géorgien Luka Okros. Tous trois nous ont proposé un programme de très grande qualité où morceaux « classiques » voisinaient avec des pièces moins connues, tout à fait passionnantes.

Seug-Huyk Na, toute la passion de la Corée pour la culture occidentale

Ce très jeune homme avait concocté pour son concours un programme « malin » : en dehors des Impromptus de Schubert, une hégémonie russe, avec des styles divers – Scriabine, Rachmaninov et, plus étonnant, Rodion Chtchedrine. Ce compositeur contemporain né en 1932, qui fut l’époux de Maïa Plissetskaïa, la célèbre ballerine russe, et refusa en 1968 de signer la lettre soutenant l’entrée des troupes du pacte de Varsovie en Tchécoslovaquie fut une découverte. Le cheminement très rythmé par les accords qui ponctuent l’Invention à deux voix des Deux pièces polyphoniques, semble indéfiniment repris avec d’infinies variations qui vont et viennent, se rapprochent et s’éloignent. Deux  descentes vertigineuses du clavier –  la dernière clôt le morceau –  interrompent ce cours uniforme dans sa diversité. Succède à l’Invention la violence martelée de Basso ostinato, La musique, extrêmement véloce, est pleine d’une urgence vitale, traduisant avec une force incommensurable une lutte où notre survie serait en jeu. On prend en pleine poitrine ce déferlement frénétique, ce déploiement d’énergie dont on ne sort pas indemne.

Le programme du jeune Coréen s’organisait en crescendo, de la délicatesse schubertienne toute en suggestions et en finesse et en musicalité mélodique des Impromptus – l’occasion pour notre jeune homme de montrer aussi toute la virtuosité de son jeu –  jusqu’à l’urgence impérative de Basso ostinato. Entre les deux, tout aussi musicale, mais plus insistante au clavier, nous prenant davantage à partie, l’Étude opus 8 n°12 de Scriabine et la gravité sévère du Moment musical opus 16 n° 3 de Rachmaninov, à la lenteur élégiaque.

Giorgi Gigashvili, la virtuosité en partage

Programme hautement virtuose était celui choisi par ce jeune homme, qui manie à la perfection les morceaux les plus difficiles. Son interprétation des Sonates de Scarlatti (en do majeur K 487 et en ré majeur K 29), au-delà de l’exercice de style qu’elles représentent sur le plan technique, témoigne que Scarlatti n’est pas seulement le compositeur du savoir-faire, celui qui alimente tous les exercices pianistiques, mais un musicien inspiré qui mérite d’être écouté pour la délicate dentelle qu’il dessine au fil des pages.

Quant aux Intermezzi opus 117 (1 et 2) de Brahms, ils ont cette tonalité automnale et douloureuse des confidences faites à voix basse. Empreints de tristesse et en même temps d’une certaine sérénité, ils instaurent un dialogue entre chacune des mains qui se répondent et alternent dans cette évocation mélancolique.

Pour les Études de Chopin, opus 10, Giorgi Gigashvili avait astucieusement choisi d’insérer la nostalgique n° 3 entre la n° 5 et l’Étude opus 25 n° 10, plus enlevées et plus véloces, comme pour composer un écrin tout d’éclats scintillants dans la lumière à la n° 3, toute de tristesse rentrée qui déborde parfois en accords fiévreux.

Animato. Une caverne d’Ali Baba musicale pour amateurs de découvertes

Luka Okros, la sensibilité en point d’orgue

Jeune homme menu aux mains interminables, Luka Okros est éblouissant. De finesse d’interprétation d’abord. Chuchotant parfois à notes à peine esquissées en déposant un doigt délicat sur la touche, il a la fluidité tranquille et la délicatesse de ceux qui savent. Aucune outrance dans son jeu, mais la musique vécue de l’intérieur, à l’intérieur. Tant dans la finesse du Prélude en si mineur Bach/Siloti qui brode son motif à partir d’une mélodie très simple ponctuée de très doux accords que dans la Ballade n° 4 de fa mineur opus 52 de Chopin aux accents mélancoliques qui s’intensifie au fil du morceau pour se peupler des ombres qui nous hantent avant de refluer telle une onde qui nous ramène au thème d’origine qui s’étoffe et s’enrichit. Grâce et beauté s’accompagnent d’une densité dramatique qui va crescendo. Quant aux Moments musicaux 4 et 5 de l’opus 16 de Rachmaninov, ils ne font que poursuivre dans cette même voie déliée et sensible.

La cerise sur le gâteau surgit quand, dans la Rhapsodie hongroise n° 2, sans crier gare, Luka Okros introduit des distorsions à cette mélodie si connue qu’on la fredonne en même temps qu’on l’entend. On sait la part que Liszt accordait à l’improvisation. Lorsqu’il se produisait à Paris, on pouvait lire sur ses affiches : « François Liszt, improvisations ». Okros, en introduisant les dissonances de la musique du XXe siècle à l’intérieur du morceau, reste fidèle à l’esprit du compositeur qui n’eut de cesse de réécrire et d’adapter pour le piano les musiques héritées du passé, voire celles de ses contemporains. Cela ne l’empêche pas de traiter la pièce d’origine avec l’alternance de gravité et d’entrain qui marquent la composition. La musique populaire et ses accélérations dansées foudroyantes courent tout au long du morceau, comme pour rappeler que celui qui se produisit dans les grandes salles de concert d’Europe restait un exilé.

Au promeneur curieux avide de sortir des sentiers battus, déjà largement parcourus, les concerts de l’association Animato offrent un beau grain à moudre, une occasion de découverte et d’émerveillement devant ces jeunes interprètes qui portent en germe ce que sera la musique classique de demain. On ne saurait négliger une telle opportunité…

Concert du 20 mars 2018

Seung-Huyk Na (Corée) : Schubert, 2 Impromptus de l’opus 90 ; Scriabine, Étude opus 8 n° 12 en ré dièse mineur ; Rachmaninov, Moment musical opus 16 n° 3 ; Chtchedrine, Deux pièces polyphoniques pour piano, Invention à deux voix et Basso Ostinato.

Giorgi Gigashvili (Géorgie) : Scarlatti, Sonate en do ajeur K 487 et Sonate en ré majeur K 29 ; Brahms, Intermezzi n° 1 et 2 de l’opus 117 ; Chopin, études de l’opus 10, n° 5 en sol bémol majeur, n° 3 en mi majeur, et opus 25 n°10 en si mineur.

Luka Okros (Géorgie) : Bach-Siloti, Prélude en si mineur; Chopin, Ballade n° 4 en fa mineur, opus 52; Liszt, Rhapsodie hongroise n° 2 en do mineur.

Mardis d’Animato

Animato – 65 quai Branly – 75007 Paris. Tél. : 06 03 49 12 28. www.animato.org

Salle Cortot – 78 rue Cardinet – 75017 Paris. http://www.sallecortot.com/

PROCHAIN CONCERT : LE MARDI 15 MAI 2018 à 20H30 avec les 1er et 2e Prix du concours Rubinstein, Antonii Baryshevskyi (médaille d’or 2004) et Daniel Cibanu (médaille d’argent 2017). Un deuxième concert est généralement donné le lendemain à la Bibliothèque polonaise (6 quai d’Orléans– 75004 Paris) le lendemain à 19h30.

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