25 Février 2018
Un grand couturier londonien, dans les années 1950, noue une étrange relation avec une serveuse rencontrée par hasard dont il fera son modèle, puis son égérie avant d’en faire son épouse. Une relation amoureuse sombre et vénéneuse à l’ombre tutélaire d’une mère omniprésente.
Les fantômes qui encombrent notre mémoire n’en ont pas moins une présence obsédante. C’est ce que vit Reynolds Woodcock, grand couturier adulé par les têtes couronnées qui fréquentent sa maison. Égocentrique et insupportable, il ne vit que pour sa création, épaulé par sa sœur Cyril qui veille au bon fonctionnement de la maison et en contrôle tous les rouages. Règne sans partage sur son esprit l’ombre de sa mère, pour qui il réalisa, jeune homme, une robe de mariée. Grande absente, elle hante ses jours et ses nuits. Elle est sa drogue et sa motivation, son juge et son guide.
Mais voici qu’il rencontre dans une auberge une jeune serveuse dont l’attitude le séduit au point qu’il l’enlève à son milieu pour en faire son modèle. Naïve et éblouie, elle se laisse manipuler et essuie les sautes d’humeur du maître avant de révéler une personnalité hors du commun qu’elle met au service de l’amour qu’elle lui porte et qui la poussera à empoisonner son amant suffisamment pour le rendre dépendant d’elle sans toutefois le tuer. Le jeu conscient de la victime et du bourreau qui s’instaure alors entre les deux personnages se poursuivra jusqu’à ce que disparaisse le lien secret qui unit Woodcock à sa mère.
Un film porté par Daniel Day Lewis
Acteur adulé du cinéma anglo-saxon, l’homme au trois Oscars (pour My Left Foot en 1990, There Will Be Blood en 2008 et Lincoln en 2012), habite, une fois de plus, son personnage avec intensité. Son jeu, très intériorisé, donne une tension dramatique au personnage de cet enfant gâté, enfermé dans ses délires et ses angoisses de créateur. Son regard, pénétrant, découpe au scalpel le monde qui l’entoure. Enfermé en lui-même, il traduit, avec une concentration farouche, l’existence d’un monde intérieur auquel nul n’a accès et que la jeune fille, Alma, forcera, au fil du temps, franchissant les obstacles dans la souffrance et le ressentiment, mais forte de son amour et avec une obstination qui la poussera aux extrémités les plus grandes, bien au-delà des « normes » sociales.
Un travail de réalisation méticuleux
Avec un sens du suspense qui conduira le film vers une fin inattendue, Paul Thomas Anderson manœuvre de main de maître, avec de beaux plans, des éclairages raffinés qui s’allient au côté vintage de cet âge d’or de la haute couture. Mais la caméra va plus loin : elle s’attache à capter, en de nombreux très gros plans, une impression fugace sur le visage des personnages, une réaction presque imperceptible, l’ombre d’un sentiment qui se dessine. Impitoyablement, elle met les personnages à nu, révèle toutes leurs ambiguïtés, traque ce qui se cache derrière la neutralité de la façade. Il faut rendre aux comédiens le mérite de faire vivre, dans les échanges de regard, les demi-sourires ou l’impassibilité apparente tout l’éventail des émotions passées au filtre de la réserve britannique.
Il n’empêche qu’on ressort du film avec un sentiment mitigé, impressionné par le travail des acteurs et le savoir-faire du réalisateur, mais dubitatif sur l’intérêt d’un tel déploiement de moyens pour un film dont on ne peut s’empêcher de penser qu’il représente plus une forme de thérapie exorciste pour Paul Thomas Anderson qu’un « film » dont on gardera le souvenir. Gageons cependant que ce film, que Daniel Day Lewis considère comme celui qui met fin à sa carrière, restera légendaire précisément pour cette raison.
Phantom Thread (film britannico-américain, 2017, 131’) de Paul Thomas Anderson
Scénario et réalisation : Paul Thomas Anderson
Avec : Daniel Day Lewis (Reynolds Woodcock), Vicky Krieps (Alma), Lesley Manville (Cyril).