4 Février 2018
Cette exploration des possibles des relations entre l’homme et la femme, la vie et la mort, le hasard et la nécessité a des allures de parcours d’obstacles jubilatoire qui pourrait commencer par « et si… »
Un plateau dont les murs latéraux se resserrent vers le fond de scène. Un univers de bois de peuplier aux teintes douces et claires qui enferment l’espace du jeu. Nous sommes dans une boîte – ou plutôt les acteurs y sont enfermés – tel le chat de Schrödinger placé là par le savant avec une sorte de bombe à retardement dans la boîte : un poison se déversera dès qu’un dispositif placé à l’intérieur de la boîte détectera la désintégration d’un atome d’un corps radioactif. Mais pour nous, qui sommes à l’extérieur, impossible de savoir si le chat est mort ou vivant. Il est donc à la fois mort et vivant et seul le point de vue d’où l’on se placera, la probabilité que nous choisirons permettra de définir si le chat est mort ou vivant.
Voilà qui est dit. Bienvenue dans l’univers quantique qui forme le soubassement de ce spectacle infiniment réjouissant !
Le multivers : une infinité de mondes
Au XVIe siècle, on avait brûlé vif Giordano Bruno, au terme de huit années de procès, pour avoir postulé – philosophiquement – l’existence de l’infini et dit qu’à l’intérieur l’infini incluait d’autres univers identiques au nôtre. Une situation, dans un univers, pouvait ainsi exister de la même manière ou de manière légèrement différente dans un autre univers.
L’avènement de la physique quantique, appliquée originellement aux particules, a ouvert dans son élargissement à l’ensemble de la physique, de nouvelles voies et l’interprétation qu’en donne Everett, en particulier, admet l’existence d’états contradictoires superposés dans des univers différents dont l’intégralité formerait le multivers. Chacun de ces mondes serait régi par des lois différentes et dans ce contexte, rien n'aurait plus de chances de se produire que le reste.
C’est ce postulat que reprend Nick Payne pour l’appliquer au sujet le plus banal qui soit : la rencontre d’un homme et d’une femme…
Un homme et une femme
Il – Roland – est apiculteur, elle – Marianne ou Marie ? – est physicienne. Ils se rencontrent à un barbecue organisé par des amis. C’est alors que commence l’avalanche qui va nous submerger plus d’une heure durant, chaque couche ajoutant à la précédente un pan dans la nébuleuse des possibles. Dans la première scène, elle le drague et il l’éconduit. Il n’est pas libre. Fin de l’histoire. Mais c’est là que survient le « et si… ». Et si, finalement, il venait de rompre ? De fil en aiguille, de tricotage en retricotage, en reprenant chaque fois les éléments de la situation précédente, se construit une histoire – des possibilités d’histoires – aussi probable qu’improbable. Choisiront-ils de mieux se connaître, de faire l’amour ensemble, de se marier même ? P’têt’ben qu’oui, p’têt’ben qu’non… L’amour, l’infidélité, le temps, la maladie, la mort, le libre arbitre… tout passe à la moulinette réjouissante du « et si… ». Sur l’échelle de ce thème éternel – la vie l’amour la mort –, ce sont les variations infinitésimales du plus au moins, du léger au grave, ou l’inverse qu’il nous est donné de voir dans cette boîte si fermée qu’elle en est infiniment ouverte…
Deux comédiens pour dire l’infini
Performance est le terme qui s’applique à ce qui est demandé à Noémie Gantier et Maxence Vandevelde. Il faut en effet un sacré talent et une bonne dose de culot pour accepter de rejouer quasiment la même scène en introduisant chaque fois une nuance différente, un ton qui en change le sens, à jouer l’agacement ou la légèreté, le mépris ou la colère. Ils sont côte à côte, face à face, parfois éloignés, parfois très proches dans cette boîte qui est tout à la fois le lieu du barbecue ou le bureau de Marianne, dans cette boîte qui est le monde, à suggérer toujours un ailleurs qu’on n’avait pas exploré jusqu’à présent.
Quant à Arnaud Anckaert, le metteur en scène, son « pedigree » explique sans doute en partie le choix qu’il fait de ce spectacle éminemment destructeur de certitudes. Passé par la fascination pour Grotowski, par la force du mouvement héritée du Lecoq belge, Lassaad, par la poétique d’Armand Gatti, « maître Anarchiste » comme il le qualifie, par la rigueur d’un Matthias Langhoff et la vision du théâtre public de Jean-Pierre Vincent et de Bernard Chartreux, il a emmagasiné de quoi partir à l’aventure sans chercher une direction plus qu’une autre sinon celle de « moments qui nous rendent plus intensément humains ». C’est bien ce à quoi nous sommes conviés dans ce spectacle où l’on rit beaucoup, sans être à la farce.
Constellations de Nick Payne, auteur anglais, traduit par Séverine Magois.
Pièce couronnée meilleure pièce de l’année 2012 par le journal Evening Standard
Mise en scène : Arnaud Anckaert
Scénographie : Arnaud Anckaert, en collaboration avec Olivier Floury
Avec : Noémie Gantier, Maxence Vandevelde
Théâtre de l’Aquarium – Cartoucherie de Vincennes
Route du champ de manœuvre
Du 30 janvier au 18 février 2018, 20h
Tél. 01 43 74 99 61 – www.theatredelaquarium.net
Autre représentation : le 6 avril 2018 au Théâtre Jacques Carat à Cachan