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Arts-chipels.fr

L’Éveil du printemps. Bonjour les Terriens! Une fable moderne sur la différence et les émois de la jeunesse

(c) Sasu Riikonen

(c) Sasu Riikonen

Lorsqu’un petit homme bleu débarque au milieu des Terriens, il ne peut manquer d’y avoir du dégât… Quand celui-ci est jeune et que l’appel de la sexualité se fait sentir, les difficultés se cumulent…

Nous sommes dans un temps indéfini, quelque part dans un univers de science fiction. A, jeune homme de la planète Platoniun, rêve, comme tous les jeunes garçons, des filles. Qu’il ne parvient pas à aborder, avec lesquelles il se montre maladroit, face auxquelles il ne peut faire face à l’appel du désir. Pour séduire M, il raconte des histoires, de celles qui sont censées  faire rêver les jeunes filles : la belle maison, l’aisance matérielle, une opulence qu’il n’a pas. Essayer d’être ce qu’il n’est pas… ce qui ne peut manquer de foirer. Mais A, qui fréquente une école française, rêve, depuis toujours, de quitter Platoniun pour la Terre, la grande planète bleue qui envahit ses ciels nocturnes et meuble son univers. Là, pense-t-il, se trouve le l’éden qu’il ne cesse de chercher. La réalité sera tout autre…

Le vert paradis des amours qui ne sont plus enfantines

La pièce, qui entretient une parenté assumée avec la pièce de Wedekind au titre éponyme –  l’œuvre d’un jeune homme de 26 ans écrite en 1890, et qui attendra plus de quinze ans d’être présentée en public –, dépeint avec justesse les émois refoulés de cette classe d’âge. Ces grands adolescents se racontent des histoires, s’inventent une assurance qu’ils n’ont pas, hésitent à sauter le pas, font tout de travers et, naturellement, se ramassent… Ils sont gauches, maladroits, empotés, et la réalité ne s’adapte pas à leur fantasme. Et lorsque A fait enfin, sur Terre, sa première expérience sexuelle, c’est davantage à la volonté de la jeune fille, Anna, qu’il le doit qu’à ses performances séductrices propres.

(c) Sasu Riikonen

(c) Sasu Riikonen

L’étranger et les autres

A, comme tous les habitants de sa planète, est un petit homme bleu. Lorsqu’il se trouve sur Platoniun, il se sent étranger à son propre monde car il rêve d’une autre vie, qu’il croit pouvoir trouver sur la Terre. Mais lorsqu’il y débarque, il est encore un étranger : sa peau bleue l’isole des autres, il est à peine admis, peu écouté, pas du tout compris. Lorsqu’Anna, qui a franchi le pas qui les sépare, le présente à sa famille, c’est l’exclusion, violente, qui salue son arrivée. A s’enfoncera ensuite peu à peu dans le désespoir et la solitude.

La parabole de la différence de couleur – Avatar et ses hommes bleus ne sont pas loin, mais aussi le Garçon aux cheveux verts, le film de Joseph Losey sorti en 1948 – revient ici en force. On ne peut que comprendre la difficulté que ressentent les déracinés à être d’ailleurs : étrangers dans leur propre pays parce que leurs attentes ne correspondent pas à celles de leurs semblables, mais aussi rejetés pour leur différence par ceux auxquels ils voudraient s’assimiler. Toutes les tentatives que mène A dans cette direction se soldent des échecs et le constat est amer…

Un espace scénique dépouillé mais efficace

Le plateau est nu, sans artifice. À peine quelques structures composées de tubulures et  déplaçables créent-elles selon les besoins l’espace d’un bistrot, un lit pour une chambre, ou la vitrine lumineuse cernée de loupiotes d’un magasin. Une inexistence qui ne dit ni le temps ni le lieu mais plutôt l’intemporalité, l’immanence. Le décor, il apparaît sur l’écran qui occupe tout le fond de scène. Tour à tour omniprésentes planètes sur fond d’étoiles, couloirs d’université éclairés par des fenêtres qui forment autant de rectangles lumineux pour habiller l’espace, plafonniers éclairant une salle de bar ou représentation de murs de chambre nus, l’écran indique les lieux comme un signal, un symbole de lieu plus qu’un lieu habité, personnalisé.

L’authenticité d’une parole adolescente

Les comédiens sont justes dans leur incarnation de jeunes gens empruntés, excessifs, « nature » et les jeunes gens assis dans la salle ne s’y trompent pas : ils se reconnaissent, commentent, s’insurgent devant la violence de la réaction des parents. Cette pièce est pour eux, pour leur génération, destinée à les montrer tels qu’ils sont et à mettre le doigt là où ça fait mal, là où naît le mal-être. Mais c’est aussi la limite du spectacle. Pour les spectateurs revenus de tout que nous sommes, nous adultes ayant une partie de notre vie derrière nous, le tout semble un peu cousu de fil blanc, les ficelles grosses comme des cordages de marine, l’ensemble plutôt convenu, schématique, telle cette peinture de la jeune M, fascinée par la prétendue aisance de A, futile et un peu vaine. Mais qu’importe ! Si le théâtre trouve le chemin qui mène vers la jeunesse pour de bonnes raisons, on ne peut que s’en féliciter…

L’Éveil du printemps de Aiat Fayez

Mise en scène : Alain Batis

Avec : Emma Barcaroli, Geoffrey Dahm, Nassim Haddouche, Pauline Masse, Mathieu Saccucci.

Théâtre de l’Épée de bois, Cartoucherie de Vincennes – 75012 Paris

Du 15 janvier au 14 février (sauf les 22-23-24/01) 2018, du lundi au mercredi à 20h30.

Du 21 au 25 février, du mercredi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h.

Tél : 01 48 08 18 75. Site : www.epeedebois.com

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