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Arts-chipels.fr

Dom Sganarelle. Et si Molière, au fond, était un comique ?

Dom Sganarelle. Et si Molière, au fond, était un comique ?

Jean-Philippe Ancelle et Michel Pilorgé interprètent au théâtre du Ranelagh une fable amusante à partir du Dom Juan de l’ami Jean-Baptiste Poquelin. Un regard sur le petit monde du théâtre en même temps qu’une révision de nos classiques.

Deux comédiens sur le retour, dans une tentative désespérée pour remonter sur les planches avec une pièce qui fit leur succès au temps de leur jeunesse, décident de rejouer Dom Juan. Mais Dom Juan a aujourd’hui la tête blanche. Il a perdu l’allant conquérant du séducteur impénitent même si le désir demeure, et ne peut plus afficher sa jeune superbe pleine de morgue au souper du Commandeur.

Le théâtre dans le théâtre

Sur la scène, un paravent, des accessoires de théâtre dont les comédiens s’emparent au fil du spectacle et une régie lumière qu’ils commandent à vue. Nous sommes dans un spectacle en train de se faire, dans le making of du théâtre, dans le théâtre qui se montre. Les comédiens vont nous jouer, certes, des scènes de Dom Juan, bien sûr, mais émaillées de réflexions sur leur carrière, sur leurs difficultés à survivre au fil des années, sur la réduction progressive à la portion congrue de leurs ambitions – la volonté simplement de continuer d’exercer leur profession –, leurs espoirs de vieux chevaux qui tentent, une dernière fois, en dépit de leur âge, de faire accepter par un producteur qu’ils reprennent Dom Juan.

Et lorsqu’on apprend à la fin qu’ils ont obtenu l’accord pour jouer le spectacle, ce n’est pas sur le Dom Juan de Molière que porte l’accord, mais sur le mélange hybride entre leurs vies de comédiens et la pièce, que le producteur a enregistré et écouté de son bureau. Ce que nous voyons devant nos yeux. La boucle se referme sur elle-même. La vie devient théâtre, le quotidien des comédiens et l’élaboration du spectacle deviennent à leur tour la matière du spectacle, au même titre que les extraits de la pièce. Les boîtes s’empilent l’une dans l’autre…

Molière, toujours recommencé

 Les deux comédiens, seuls en scène, ne joueront pas Dom Juan dans son entier mais essentiellement les scènes dans lesquelles Dom Juan et Sganarelle sont face à face. C’est un véritable plaisir de réentendre ces tirades que nous connaissons par cœur, qu’on restitue dans sa tête au fil du dialogue. C’est l’occasion de retrouver la parole formidablement insolente de ce valet qui assène ses quatre vérités à son maître aux travers de truchements si transparents qu’on ne peut que comprendre à qui il s’adresse. Michel Pilorgé est épatant dans ce rôle de pleutre, de petit homme médiocre qui cependant n’hésite pas à dire ses quatre vérités à son compère de maître. Et quoi qu’en dise le spectacle au titre évocateur – Dom Sganarelle, chiasme révélateur qui renvoie dos à dos les deux personnages –, qui brocarde les « lectures » de Dom Juan auxquelles s’est livrée la mise en scène contemporaine, il y a dans le rapport entre Dom Juan et Sganarelle présenté par les deux comédiens une lecture très fine du personnage du valet. En regard, Dom Juan, « quotidianisé » par Jean-Philippe Ancelle, a perdu son épaisseur de libertin forcené. Il est devenu une sorte de monsieur-tout-le-monde, un peu fat, qui vit d’histoires qu’il se raconte et de rodomontades complaisantes, une sorte d’ado vieillissant, pas fini… ce qui peut paraître regrettable.

Il n’empêche : on rit beaucoup. Dom Sganarelle nous fait redécouvrir, derrière Dom Juan, cette pièce dite « sérieuse » de Molière, le formidable esprit comique de l’auteur qu’on avait peut-être quelque peu négligé tant les mises en scène de Dom Juan exploraient la gravité de la pièce. Et si l’intrigue ajoutée du couple de comédiens « affaissés » peut paraître plutôt mince, elle apporte un autre regard sur le théâtre, dans un spectacle rondement mené.

Dom Sganarelle de Jean-Philippe Ancelle, avec de larges emprunts au Dom Juan de Molière

Mise en scène : Jean-Philippe Ancelle

Avec : Michel Pilorgé, Jean-Philippe Ancelle.

Théâtre du Ranelagh, 5 rue des Vignes – 75016 Paris

Du 17 janvier au 8 avril 2018, du mercredi au samedi à 19h, le dimanche à 15h

Tél : 01 42 88 64 44. Site : www.theatre-ranelagh.com

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