17 Janvier 2018
Animato propose, salle Cortot, de manière régulière, des concerts gratuits qui font entendre de jeunes talents de la musique classique, lauréats des nombreux concours internationaux. L’occasion de découvertes, toujours de qualité, et d’émerveillements.
L’association Animato, fondée en janvier 1993 et soutenue, entre autres, par l’école normale de musique de Paris/Alfred Cortot et par la fondation Zygmunt Zaleski, aide de jeunes interprètes et plus particulièrement des pianistes à se faire connaître en leur offrant un lieu professionnel où se produire à Paris. Elle offre un tremplin à ces jeunes artistes qui entament leur carrière professionnelle. C’est l’occasion pour un public d’amateurs de musique – la salle de 400 places est toujours comble – de découvrir ceux qui seront, pour certains, les grands interprètes de demain et qui témoignent déjà d’une grande sensibilité et d’une perfection sans faille.
Une découverte à l’aveugle souvent pleine de surprises
Aller à l’aventure et se laisser porter, au fil des concerts, à explorer des pans parfois moins connus du répertoire musical, prendre plaisir à entendre de nouveaux sons – les apprentissages de ces jeunes interprètes sont différents, leurs interprétations variées et chaque morceau est une redécouverte – sont l’occasion, chaque fois, d’une expérience unique et savoureuse. Et puis, il y a les coups de cœur. Les interprétations dont on ne sort pas indemne. Ces morceaux qui vous sortent de vous-mêmes, vous transportent vers des contrées enchantées, vous décollent de votre siège. Si toutes les interprétations n’ont pas cet effet, il suffit d’une seule pour que votre soirée devienne inoubliable… et c’est le cas chaque fois.
Le concert « feux d’artifice »
Le concert du 16 janvier 2018, anniversaire oblige, rassemblait plusieurs premiers prix et lauréats de concours : l’Italienne Chiara Opalio (1er prix « Rahn Wettbewerb » de Zurich, Suisse 2016), le Letton Daumants Liepins (1er prix du « 8th Nordic International Piano Competition », Suède 2017), le Chinois Dong Jun Miao (1er prix du « Concours international de piano de Viseu », Portugal, 2017) », l’Ukrainien Roman Lopatynskyi (1er prix Horowitz, Kiev 2015), les Coréens Jaeyon Won (lauréat des concours internationaux de Genève, de Bolzano, Busoni 2017, et de Marguerite Long et Chang Yong Shin (1er prix du Concours international Hilton Head, UK 2016). Un panel aussi ondoyant que divers, parfois délicat, souvent musclé.
Un programme diversifié mais très virtuose
Concours obligent, ces jeunes gens nous ont présenté des programmes d’une exécution ardue, exigeante, démontrant leur maîtrise de l’outil pianistique. Mais ils n’ont pas fait que cela, proposant des interprétations souvent de grande qualité.
Les Variations sur un thème de Salieri, de Beethoven (1799), interprétées par Chiara Opalio, étaient pleines de délicatesse, déroulant leur aérienne légèreté sur toutes les teintes et dans tous les tons : virevoltante souvent, élégiaque parfois, dramatique rarement, alternant la fuite rapide au clavier avec accords et note parcimonieux, cette exploration beethovénienne traduit une véritable jouissance de la musique. Le plaisir transparaît à chaque variation, et avec lui une gaieté hautement contagieuse qui tranche avec la musique souvent grave du compositeur.
Le finale de la Sonate opus 26 de Samuel Barber, interprété par Daumants Liepins fut une découverte. Composée par Barber pour le 25e anniversaire de la Ligue of Composers et créée pour Vladimir Horowitz, cette œuvre américaine du XXe siècle, dodécaphonique, est toute en ruptures, en âpreté et en dissonances. Le dernier mouvement, une fugue, développe à train d’enfer sur toute l’étendue du clavier son parcours frénétique, utilisant la répétition et sa variation comme un leit-motiv. Elle alterne crescendos et decrescendos avec de lourds accords plaqués avec violence, donnant un sentiment d’urgence à la musique.
La Danse macabre (op. 40) de Saint-Saëns adaptée par Horowitz, interprétée par Jaeyon Won était une pure merveille. Après un Bartók remarquable de finesse, cette évocation de ronde macabre aux accents hispanisants ponctuée par un glas insistant et des volées de cloches était magnifiquement traduite par l’interprétation. On y entend résonner, comme en passant, les accents de la Totentanz de Liszt. Ce n’est guère étonnant quand on sait que celui-ci a arrangé pour le piano ce qui avait été pensé – et écrit – par Saint-Saëns comme un poème symphonique, lui-même créé d’après un poème d’Henri Cazalis, cet arrangement ayant été lui-même revu par Horowitz. Ce pot-pourri citationnel, ce méli-mélo d’inspirations diverses, cet imbroglio de couches musicales accumulées demeure, par-delà son caractère disparate, une source de plaisir intense.
Questions de répertoires
Les pièces de Bach, en revanche, furent décevantes : trop « jouées », trop « nuancées » comme pour faire exprimer à la musique autre chose que la qualité d’être qu’elle possède en propre, comme s’il fallait lui ajouter un supplément d’âme, minorer la mécanique mathématique si fantastiquement expressive du musicien, faire peut-être, pour Dong Jun Miao, mentir l’adage de perfection technique mais sans âme des interprètes chinois. Enfin, Schumann, Liszt (omniprésent à travers ses transcriptions pour piano), Tchaikovsky et Rachmaninov renforçaient la tonalité fortement romantique de la soirée, exprimant, s’il en était besoin, l’imbrication étroite, l’intrication entre piano et essence romantique.
Cette sélection autorise à se demander si, au-delà de la difficulté affichée de ces morceaux et de la virtuosité qu’ils requièrent, il ne faut pas ajouter pour ces concours, comme pour le patinage artistique par exemple, un certain répertoire comme point de passage obligé pour cumuler les chances de succès. C’est cette réflexion, sans doute, qui m’a quelque peu écartée de Chang Yong Shin, parfait dans le répertoire qu’il avait choisi et rapprochée davantage de Jaeyon Won, plus audacieux dans ses choix. Mais tout ceci est affaire de goût et on aurait tort d’en tirer des conséquences définitives : ces jeunes gens sont tous talentueux, ils nous ont procuré beaucoup de plaisir et on attend – et on espère – de les voir évoluer.
Chiara Opalio : Beethoven: Variations sur un thème de Salieri
Daumants Liepins : Rachmaninov, Préludes n°1 et 2 de l’opus 23 ; Barber, finale de la Sonate opus 23
Dong Jun Miao: Bach-Busoni, 2 Chorals; Liszt, Feux follets
Jaeyon Won: Bartók ; Saint-Saëns-Horowitz, Danse macable opus 407
Roman Lopatynskyi: Bach-Siloti, Prélude en si mineur ; Tchaikovsky-Feinberg, Scherzo de la 6e symphonie
Chang Yong Shin: Schumann-Liszt, Widmung; Rachmaninov, 2 moments musicaux de l’opus 16
16 janvier 201817
Mardis « Révélation » d’Animato
Animato – 65 quai Branly – 75007 Paris. Tél. : 06 03 49 12 28. www.animato.org
Salle Cortot – 78 rue Cardinet – 75017 Paris. http://www.sallecortot.com/