4 Décembre 2017
Un voyage au cœur de la délocalisation des entreprises sous la forme d’une fable au goût doux-amer.
Une usine ferme ses portes à Villefranche-sur-Saône, et la production est transférée au Maroc. Une ouvrière qui a dépassé la quarantaine refuse le licenciement économique qui lui est proposé et choisit d’émigrer pour continuer de travailler, au mépris des différences de condition de travail et de salaires existant entre les deux pays.
Édith a refusé de se mettre en grève. Le travail est sa raison d’être. Elle est fâchée avec son fils – on découvrira que son homosexualité a provoqué l’éloignement entre mère et fils – n’a plus de famille qui la retienne en France. En dépit des avertissements qui lui sont prodigués de toute part, elle décide d’accepter une baisse de salaire et de partir pour continuer à travailler.
Solitude et hostilité
À son arrivée, Édith (Sandrine Bonnaire) trouve à se loger dans une pension de famille. Mais que vient faire ici cette Française quand d’autres s’expatrient pour trouver du travail ? L’atterrissage est rude. Elle n’est pas bienvenue, elle se fait voler, découvre la réalité du voile qu’on lui impose pour se déplacer dans le minibus qui la conduit chaque jour au travail. Une proie toute désignée qui doit se faire sa place là où elle apparaît comme un furoncle, le symbole même de la société européenne, et donc de l’oppresseur. Édith passe outre. Elle serre les dents et avance. Elle découvre des conditions de travail qui n’ont plus rien à voir avec celles qu’elle connaissait en France. Déqualifiée, elle se retrouve devant une machine à coudre dans un hangar où vrombissent des centaines de mécaniques identiques, à suivre le parcours d’un tissu à rythme soutenu, sous la conduite hostile d’une femme contremaître qui cherche, à travers elle, à se venger des humiliations subies.
Une descente aux enfers
Ouvrière, elle l’est, et dans des conditions qu’elle n’imaginait pas. Une fois de plus, elle s’adapte en silence et s’accroche à ce petit bout de vie qu’elle a choisi à son corps défendant. Elle découvre les entorses faites aux conditions de sécurité, l’absence de contrôle des machines, les conditions dangereuses de la vie ouvrière. Et cette femme qui a tout accepté, n’a jusqu’à présent jamais rien dit, se révolte. Contre le courant qui lui brûle les doigts, qui lui mine la santé, qui la détruit peu à peu. Pour la première fois, elle refuse d’accepter le sort qui lui est fait et, comme elle n’est pas comme les autres, sa voix sera entendue. Elle change de machine. Mais la femme qui la remplace succombe. Édith s’insurge alors et dénonce les conditions de travail qui valent au contremaître un blâme. Celle-ci s’arrangera pour la faire renvoyer.
Commence une chute sans fin à la recherche de sa survie, de petits boulots précaires, de cueillette de fruits dans des conditions innommables. On ne voit pas de fin à cet enfer chaque fois plus profond, plus inextricable où se perd toute qualité humaine et où la mort est au bout du chemin.
La fable de l’amitié et de la solidarité
Seule lueur dans ce paysage uniformément noir sous le soleil : une amitié se noue progressivement entre elle et les propriétaires de la pension de famille. Avec le fils, d’abord, attiré par le miroir aux alouettes que constitue l’Europe, vue de l’autre côté de la Méditerranée. Avec sa mère ensuite, une femme qui a jeté aux orties les lois du mariage pour vivre – même parcimonieusement, par petits détails – libre et responsable d’elle-même. Âpre au gain, qui représente sa survie, elle va peu à peu se laisser convaincre de redevenir humaine au contact de cette étrangère qui se bat désespérément pour tenter de sortir la tête de l’eau. Et lorsqu’Édith, à bout de forces, s’effondre, tous deux organiseront son rapatriement vers la France et vers Paris où se trouve son fils. Mère et fils se retrouvent. Mais Édith s’est attachée à ces amis du Sud qu’elle a appris à apprécier. Elle vend sa maison de Villefranche-sur-Saône et repart, avec ses économies, pour fonder avec eux un restaurant. Le bonheur de vivre triomphe de la dureté de la vie et l’amitié entre les peuples n’est pas un vain mot…
Un film touchant, admirablement interprété
Le film expulse le pathos larmoyant au profit d’un drame dont on pense un moment qu’il n’aura pas de fin. Sandrine Bonnaire, dans le rôle de cette femme refermée sur elle-même qui fait face en silence aux vicissitudes qui l’assaillent et tente, comme une tortue repoussant inlassablement l’obstacle placé devant elle sans dévier de sa route, de trouver une issue est juste. Sans outrance, toute en demi-teintes, elle suggère l’inacceptable sans le dire, victime propitiatoire immolée sur l’autel d’une société qui n’a plus d’autre loi que le profit.
Une grande humanité émane cependant de ce tableau sans concession. Ce que dit le film, c’est que quelque part, un jour, quelque chose est possible si l’on décide de changer. Par les temps qui courent, c’est plutôt une bonne nouvelle…
Prendre le large. Film français - 2017
Réalisé par Gaël Morel
Scénario : Gaël Morel et Rachid O
Avec : Sandrine Bonnaire, Mouna Fettou, Kamal El Amri