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La fin de l’homme rouge. La Russie postsoviétique dans l’œil d’un cylone qui a valeur d’universel

La fin de l’homme rouge. La Russie postsoviétique dans l’œil d’un cylone qui a valeur d’universel

L’empire soviétique s’est effondré. Après l’espoir intense suscité par la perestroïka vient le temps du désenchantement. Fidèle à sa manière de concevoir la mise en scène, Stéphanie Loïk mêle le « théâtre documentaire » à la danse et aux disciplines circassiennes.

L’auteur, Svetlana Alexeievitch, prix Nobel de littérature 2015, écrit à partir de témoignages de ses contemporains. Délaissant les « grands » sujets, elle s’intéresse au vécu, quotidien, de ceux qu’elle interviewe, transmettant une parole éminemment humaine. « Je pose, dit-elle, des questions non sur le socialisme, mais sur l’amour, la jalousie, l’enfance, la vieillesse. Sur la musique, les danses, les coupes de cheveux. Sur les milliers de détails d’une vie qui a disparu. C’est la seule façon d’insérer la catastrophe dans un cadre familier et d’essayer de raconter quelque chose. » La force du verbe vient de ce dire issu de l’expérience quotidienne, bien au-delà des thèses et des analyses. Il révèle une douleur pure, sans fard, dans laquelle l’inacceptable ne peut que demeurer inacceptable.

Des histoires poignantes

Dans le deuxième volet des années post-perestroïka que Stéphanie Loïk nous propose, elle met en avant la désorientation complète de l’ex-monde soviétique, rendu, sans garde-fou, à la violence communautaire : travailleurs tadjiks de Moscou traités comme des « culs noirs », des « métèques », montée d’une extrême-droite pro-russe, attentats en série dans le métro moscovite, destructions, viols et assassinats perpétrés par les communautés tant azerbaïdjanaise qu’arménienne. Noir, le ciel est noir pour ceux qui s’aiment tels cette jeune Arménienne et son compagnon musulman qui, au mépris de l’opposition de leurs familles respectives finissent par se marier, signe d’espoir que la barbarie pourrait avoir une fin, et qu’un happy end serait possible… Mais là encore, point de refuge. S’ils émigrent à Moscou pour fuir l’insoutenable, c’est pour devenir clandestins dans un pays qu’ils continuent, malgré tout, à penser comme leur. L’Homo Sovieticus perdure dans les têtes mais la réalité a changé…

La fin de l’homme rouge. La Russie postsoviétique dans l’œil d’un cylone qui a valeur d’universel

L’art du décalage

Ces témoignages d’individus dévorés par l’Histoire, Stéphanie Loïk choisit de les faire émerger du brouillard qui nappe la scène, fantômes échappés du réel qui racontent leur propre destin, un destin qui leur est imposé et dans lequel ils se débattent. Trois hommes et trois femmes, danseurs-comédiens-gymnastes, portent cette parole dans sa crudité tragique. Mais leur corps dit autre chose que le texte. Ils oscillent lentement avec ensemble, comme à la limite du déséquilibre qui menace à tout moment de les faire chanceler, êtres fragiles placés sur la frange étroite entre la station debout et l’effondrement. Ils sont parole à plusieurs voix, chœur polyphonique vibrant parfois à l’unisson, d’autres fois alternance de voix, l’une poursuivant ce que l’autre a entamé ou portant un dialogue. Ils ondulent en phase, se rassemblent, s’épaulent quand ils disent la similitude, la solidarité, s’écartent quand le monde extérieur fait une irruption agressive. Le décalage entre le texte, parfois pudique et retenu, parfois insoutenable dans le message qu’il porte, et une gestuelle très lente, qui rappelle le butô, introduit une étrangeté qui « dé-quotidianise » les témoignages, les écarte du reportage documentaire pour leur donner une valeur universelle, induire une réflexion plus large, plus générale sur les excès du communautarisme et sur l’évolution de la société contemporaine.

Noire est la nuit dans laquelle se débattent les personnages. Noire est la nuit dans laquelle  nous nous débattons. En prendre conscience peut être un des moyens d’apercevoir, dans le lointain, la fragile lueur de la lumière, un embryon d’espoir.

La Fin de l’homme rouge (2e partie) – Dix histoires au milieu de nulle part. D’après le roman éponyme de Svetlana Alexeievitch (éd. Actes Sud), traduit par Sophie Bénech

Mise en scène : Stéphanie Loïk

Avec : Vladimir Barbera, Denis Boyer, Véra Ermakova, Aurore James, Guillaume Laloux, Elsa Ritter.

Théâtre de l’Atalante, 10, Place Charles-Dullin – 75018 Paris

Du 29 novembre au 22 décembre 2017, les lundis, mercredis et vendredis à 20h30, jeudi et samedi à 19h.

Diptyque avec la 1re partie (La Fin de l’homme rouge ou le temps du désenchantement) le dimanche (16h pour la 1re partie, 17h45 pour la 2e)

Tél : 01 46 06 11 90. Site : www.theatre-latalante.com

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