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Arts-chipels.fr

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Pour célébrer le centenaire de la mort de l’artiste, le musée d’Orsay présente, avec l’essai éponyme de Paul Valéry publié en 1937 sur Degas, une exposition qui met l’accent sur la place fondamentale du dessin dans le parcours de l’artiste et sur son apport novateur.

Le musée d’Orsay affectionne les rapprochements entre l’art et la littérature. Après le dialogue Artaud-Van Gogh, qui avait donné lieu à une exposition passionnante, il aborde une nouvelle rencontre : celle du peintre Edgar Degas et du littérateur Paul Valéry. Le prétexte en est la commande que le galeriste Ambroise Vollard passe à Paul Valéry en 1930 : un texte pour accompagner une série de dessins du peintre. Bien que l’écart d’âge fût grand entre les deux hommes – Degas est déjà très âgé et l’écrivain un jeune homme encore inconnu –, ils entretinrent des relations amicales et, du côté de Valéry, une admiration pour le génie du peintre. Publié en 1937, l’écrit est davantage une suite de fragments, à partir de l’œuvre de Degas, sur ce que créer veut dire – un thème qui questionne Valéry à titre personnel – qu’un texte ou un essai véritable sur Degas. Il pointe néanmoins quelques thèmes majeurs qui traversent l’œuvre du peintre et que l’exposition reprend : le rôle central du dessin, la place de la danse, le rapport avec le monde équestre et la grande nouveauté qui marque la fin du XIXe siècle : la nécessité d’intégrer le mouvement dans les considérations sur l’art et la mise en mouvement de l’image dont Degas est, à sa manière, un éclatant représentant.

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité
Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Le dessin d’abord

Degas fait sien le conseil d’Ingres : « Faites des lignes ». Degas dessine donc, et beaucoup. Il voyage en Italie, étudie à Rome les dessins des artistes de la Renaissance, croque sans discontinuer. L’un des grands intérêts de l’exposition est justement de montrer la multitude de ces dessins préliminaires. Lorsque le sujet parvient sur la toile, le moindre détail de la posture ou du mouvement a déjà été fixé, les expressions du visage déjà définies. Il suffit de regarder les croquis qui précèdent la réalisation de Portrait de famille, dit aussi la Famille Bellelli (1859-1867). La mère à la triste figure porte le deuil de son père mais pas seulement. Elle semble distiller une souffrance muette tout en veillant sur la progéniture qui s’étale sous son orbe. Elle ne regarde ni ses deux filles, dont l’une prend la pose tandis que l’autre prend ses aises, la jambe repliée sous elle, ni son mari qui tourne d’ailleurs le dos à la scène comme si ce portrait de famille ne le concernait qu’à peine. Le croquis le montre à demi-tourné, le regard baissé sur les papiers posés sur la table. Quant à la petite Giulia, qui regarde ailleurs sans prendre la pose, elle a la même expression d’ennui rêveur héritée du dessin. Le tableau rassemble les différents détails dans la vision globale qu’il donne de cette famille qui n’en est pas une…

À travers le croquis, comme souvent dans ce type d’exercices, le dessinateur va à l’essentiel. Il simplifie les formes, accentue les courbes pour les rendre perceptibles, reconstitue à gros traits ombres et volumes, croise ses traits pour mettre en avant un relief, un creux, explicite la direction qu’il imprimera à la version finale : le tableau.

Le pastel lui offre la liberté de traduire l’immédiateté, mais aussi de revenir sur ce qu’il a fait pour le peaufiner, lui donner la forme juste, restituer la courbure qu’il a en tête, mettre la forme en perspective, jouer de la précision du trait ou de son estompage pour fixer l’instant ou donner l’impression de mouvement en floutant les limites.

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité
Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Saisir la vie et la traduire picturalement

À travers les nombreuses esquisses de personnages se dessine le souci pour Degas de capter autre chose que les personnages eux-mêmes, comme si la vérité des choses représentées se trouvait au-delà d’elles-mêmes. Pas de psychologisme ou d’apitoiement d’aucune sorte devant ces femmes ballotées par la vie, ces repasseuses maniant de lourds fers à repasser toute la journée durant pour les presser sur le tissu, simplement l’expression de la dureté de leur travail et la fatigue qu’il entraîne. De la même manière les jeunes danseuses n’ont pas d’individualité. Elles sont silhouettes avant tout, saisies dans des postures qui mettent le corps en danger, perchées sur des pointes ou jambes trop largement écartées, à se masser des pieds meurtris ou à rajuster leur tenue, noyées dans les frous-frous du tulle qui forment comme un nuage mousseux autour d’elles.

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Du mouvement avant toute chose

La multiplicité des scènes fixées sur la toile suggère la volonté de faire sourdre la vie des deux dimensions du tableau. Transcender la planéité pour réinventer l’espace. C’est dans le même esprit qu’il faut comprendre la multitude de sculptures de danseuses dans les postures les plus diverses, mains rassemblées dans le dos sur une torsion du buste, s’étirant en équilibre sur une jambe ou encore cambrées, les bras arrondis vers le haut, mais aussi de chevaux saisis en plein mouvement, pattes avant dressées au-dessus du sol ou renâclant col baissé ou lancés en plein galop. L’exposition présente d’ailleurs les expériences contemporaines de chronophotographie qui permettent, par la décomposition du mouvement en une série d’images fixes dont le défilement donne l’illusion de la mobilité. On retrouve le même souci d’intégrer la dimension du temps et de l’espace qui transparaît chez Degas.

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

Une modernité sans revendication

Alors qu’il s’écarte largement du souci des impressionnistes de saisir les modifications de la lumière au long du jour et des saisons et de peindre sur le motif, Degas continue de participer aux expositions du groupe. De Manet il retient la volonté de peindre la vie moderne. Mais Degas développe son parcours singulier en marge du mouvement. Il explore les relations du dessin à la peinture, l’usage du pastel et de l’huile, mais aussi la sculpture. Dans ses tableaux, il a le culot de laisser vide le centre du tableau comme dans le Foyer de la danse à l’Opéra de la rue Le Peletier (1872) où les ballerines et le maître à danser sont comme installés sur le pourtour, n’hésite pas à construire une diagonale de danseuses traversant le tableau de bas en haut et de gauche à droite dans Danseuses montant un escalier (V. 1886-1888) sur un fond nu à peine différencié entre le sol et les murs dans des tons d’ocre et de rouge qui occupent la majeure partie du tableau.

 Il va encore plus loin, révolutionnaire qui ne dit pas son nom lorsqu’il réalise la Petite danseuse de quatorze ans (1881) qui mêle le bronze fondu à la cire perdue, qu’il patine avec des teintes différentes – en brun pour les chairs, en rose pour les lèvres et les chaussons, en blanc pour le corsage – au tissu. La jeune danseuse, grandeur nature ou presque – elle mesure 95 cm de haut – porte en effet un tutu de tulle, un corsage de soie patiné blanc crème et un ruban de satin dans les cheveux. Elle brouille les cartes, annonçant ce que développera le XXe siècle. Collage avant la lettre, mixité des médias, interférences de mondes, elle introduit le trouble dans les catégories de l’art, ce qui fera dire à Huysmans que « du premier coup, M. Degas a culbuté les traditions de la sculpture comme il a depuis longtemps secoué les conventions de la peinture. »

Degas Danse Dessin. Des coups de crayon dans la modernité

On l’aura compris, apparaît en pleine lumière dans cette exposition le talent novateur de Degas. Ni chef de file, bien qu’on ait pu le considérer comme le chef des impressionnistes, ni maître à penser ou à peindre, sans volonté de faire école, il développe une recherche personnelle, à l’écart des tendances de son temps. Il n’est pas étonnant, de ce fait, qu’une relation d’estime l’ait lié à Gauguin qui reconnut en lui, sous ses dehors de bourgeois sans histoire, un « maître » capable de montrer, en peignant un nu, « le bidet, le clyso, la cuvette !! […] tout comme chez nous ! » et de voir que sa peinture n’a pas « de motif : seulement la vie des lignes, des lignes, encore des lignes » avant de conclure : « Son style, c’est lui ».

Degas Danse Dessin – Hommage à Degas avec Paul Valéry

Commissaires : Leïla Jarbouai et Marine Krisel

28 novembre 2017 -25 février 2018

Musée d’Orsay. 1, rue de la Légion d’honneur – 75007 Paris

Ouvert tous les jours sauf le lundi 9h30-18h, nocturne le jeudi jusqu’à 21h45

Tél. 01 40 49 48 14

www.musee-orsay.fr

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