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L’Art de Suzanne Brut. Quand folie rime avec peinture

L’Art de Suzanne Brut. Quand folie rime avec peinture

Marie-Christine Danède, seule en scène, nous offre le spectacle attachant d’une femme blessée devenue muette, qui s’exprime par la peinture.

Dans un village du Périgord, une femme est internée. Mutique face aux autres, elle poursuit un dialogue imaginaire et volubile avec « ses » esprits, sainte Jeanne et la Vierge Marie. Elle leur raconte son histoire que le spectateur découvre peu à peu. Son unique rapport avec l’extérieur passe par la peinture. Elle crée, sur des planches de bois récupérées, des images pieuses, utilisant pour ce faire les chutes de peinture qu’elle récupère de-ci, de-là, qu’elle mélange avec toutes sortes d’impuretés et d’insectes. Personne ne la comprend, enfermée qu’elle est dans son silence. En toile de fond : la France occupée. Les Allemands sont là et rythment de leurs allées et venues la vie quotidienne de la petite communauté tandis que Suzanne se fait l’écho des déclarations de Pétain sur ces « inutiles » que la vie a écartés du cours « normal » de la vie sociale.

De l’art brut

Suzanne survit dans ce milieu où nul ne la comprend, et encore moins les sœurs qui veillent, chichement, sur elle. Seul un médecin passe de temps en temps et récupère ses travaux. Se livre-t-il à un trafic – peu probable en ces années de guerre ? Plus vraisemblablement, les utilise-t-il pour tenter de cerner la personnalité de celle qui s’est tue, pour comprendre les motivations de son comportement. Car Suzanne est devenue une experte en matière picturale, comme nombre d’artistes « bruts », livrant une peinture détachée des codes artistiques, obéissante à l’impulsion irrésistible, développée à l’écart des critères qui gouvernent l’art. L’instinct, l’urgence et la nécessité intérieure ont remplacé l’apprentissage et la référence. On doit à Jean Dubuffet d’avoir, dans l’après-guerre, réhabilité ces « bruts » et ces « naïfs » – qui ont aujourd’hui un splendide musée qui leur est dédié à Lausanne et ont trouvé leur place à la Fabuloserie de Dicy, dans l’Yonne– qui portent une forme de création à l’état pur. Suzanne, dans cet isolement qui est le sien par rapport au monde, incarne cet art brut que, d’une certaine manière, le médecin va briser en lui demandant de peindre son autoportrait, de franchir la barrière qui l’isole du monde pour se définir elle-même à travers la peinture.

L’histoire de Suzanne

Remonte alors l’aventure de cette femme simple et fruste gouvernée par des croyances et valeurs on ne peut plus traditionnelles : une vie au jour le jour, sans incident notable, l’amour de sa sœur, le respect de son père, la religion. Lorsque son univers bascule à la suite d’un viol, elle perd ses repères et se détache des codes qui régissent les rapports sociaux. Elle cesse de parler. Ceci, nous le découvrirons au fil de l’histoire qui entremêle de manière inextricable la situation historique de la France d’Occupation, le dialogue qu’entretient Suzanne avec ses esprits, ses soucis picturaux, l’obsession qui les gouverne et le choc qui forme la source de sa « folie ». C’est en effet de marginalité dont il est question, d’une marginalité que le système pétainiste enterre à défaut de l’éliminer physiquement mais qui n’en est pas moins, d’une certaine manière, crime contre l’humanité. Suzanne, dans sa douce folie souriante, dans son souci de représenter la sainteté avec tout le lustre qu’elle nécessite, pose avec acuité la question de l’exclusion pratiquée par la société envers ces déviants, ces hors-monde, tous ceux qui poussent à l’écart des us et des codes imposés.

Un beau travail de comédienne

Marie-Christine Danède incarne une Suzanne émouvante, marquée par son accent campagnard à défaut d’être périgourdin, qui pose sur le monde un regard faussement naïf. Elle nous interpelle avec sa manière de ne pas y toucher. Nous sommes les voix imaginaires avec lesquelles elle dialogue, les témoins de l’incompréhension du monde à son égard, les amis qui sont à même de comprendre ce qu’elle vit et comment elle crée, à l’écart des codes. Elle nous fait partager la manière dont elle vit ce qui lui arrive, sans analyse possible, du moins en apparence. Une perception pleine d’acuité qui traduit en images simples ce que la réalité à laquelle elle est confrontée a d’insupportable, d’inacceptable. Son refuge, elle l’a trouvé dans l’émerveillement et le silence et nous pouvons imaginer, lorsque le spectacle s’achève, qu’avec son autoportrait un pas décisif aura été franchi et que le monde fera irruption dans son espace du dedans.

Même si l’on aurait souhaité pénétrer plus profondément dans l’univers de la peinture, comprendre mieux le rapport qu’elle entretient avec la névrose, c’est en tout cas un remarquable spectacle qui nous interpelle comme une attachante tranche de vie.

 

L’Art de Suzanne Brut de Michael Stampe

Mise en scène et scénographie : Christophe Lidon

Avec : Marie-Christine Danède

Du 31 octobre au 23 décembre 2017, 19h30

Théâtre Les Déchargeurs – 3, rue des Déchargeurs – 75001 Paris

www.lesdechargeurs.fr

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