10 Novembre 2017
Ils sont trois frères chiliens émigrés au Mexique : Saúl, Aron et Álvaro Bitrán. Ils nous ont proposé, avec Javier Montiel à l’alto, un parcours de toute beauté dans la musique latino-américaine contemporaine.
Il y avait foule ce soir-là salle Cortot pour écouter le Cuarteto Latinoamericano, un concert réalisé avec le soutien des gouvernements et des ambassades chiliens et mexicains. Il faut dire que les quatre hommes, qui fêtent les 35 ans de carrière de l’ensemble, ne sont pas des inconnus. Deux fois lauréats des Grammy Awards, résidents durant vingt années à l’Université Carnegie de Pittsburgh, ils se produisent dans le monde entier.
Diversités américaines
Pour ce concert unique, ils interprétaient des œuvres latino-américaines des trente dernières années. Se trouvaient réunies des musiques du Pérou (Celso Garrido-Lecca), du Chili (Mauricio Arenas Fuentes, présent dans la salle), de Colombie (Diego Vega), du Mexique (Mario Lavista, également présent) et de Cuba (Leo Brouwer), sans oublier, pour le bis, l’Argentine (Astor Piazzolla). Des œuvres quasi inconnues du grand public – si l’on excepte celles du Cubain Leo Brouwer – qui témoignaient d’une grande vitalité et de la participation, à part entière, de la musique d’Amérique latine au grand concert de la musique contemporaine.
Point ici de rythmes folkloriques réinventés, comme le firent les Européens à la suite et dans le droit fil revendicatif du Printemps des peuples, mais une musique qui ne se distingue pas, au premier abord, des autres musiques de la même période produites dans le monde occidental. À cela près… à cela près que s’y développe tout un charivari de bruits et de couleurs, de conversations menées dans le brouhaha de la vie quotidienne, de cris d’oiseaux, de fourmillements d’insectes vibrionnant en tous sens, de concerts de klaxons traversant la nuit, de reflets paresseusement étalés à la surface de l’eau… Il suffisait de fermer les yeux pour que surgisse cette faune bigarrée si différente de la nôtre mais en même temps si proche, pour que remontent des senteurs fortes, pour que la vie palpite en tous sens.
Un quatuor d’exception
Nos quatre interprètes (deux violons, un alto, un violoncelle) nous ont offert la perfection dans des glissandos vertigineux, des pizzicati alternant avec une rapidité déconcertante avec un jeu à l’archet, un synchronisme sans faille dans cette symphonie où l’on croyait parfois entendre résonner dans le lointain une flûte, où les sonorités étranges nées on ne sait d’où vous saisissaient pour vous emporter loin, au-delà des mots. Ça chante, ça grince, ça crie, ça sommeille et s’estompe. Variations de rythmes, de tempos, harmonie et ruptures, forte et pianissimi ont été menés en alternance et tambour battant tout au long de l’heure qu’a duré le concert. D’une note très pure esquissée à voix basse et tenue un temps interminable, comme suspendue, au violent coup d’archet et au crescendo vertigineux, la maîtrise de ces quatre musiciens surgissait à chaque pas, et avec elle une sensibilité à fleur de musique qui ne pouvait que nous transporter.
Un univers sonore plein de grâce
Il est de ces salles où le son se perd, se dilue ou résonne, chaque note empiétant sur l’autre dans ce qui devient vite une cacophonie. Salle Cortot, il n’en est rien. Cette salle de style Art déco, entièrement boisée, édifiée par Auguste Perret en 1929, a la qualité d’un joyau sonore. Le son garde sa précision et sa pureté originelle. Il n’est pas pollué par des échos intempestifs. Il résonne bien clair dans l’espace. Perret avait dit : « Je vous ferai une salle qui sonnera comme un violon. ». Et Cortot avait ajouté : « Il a dit vrai. Mais il se trouve – ce qui dépasse nos espérances – que ce violon est un Stradivarius. » Pour notre plus grand plaisir…
Cuarteto Latinoamericano : Saúl et Aron Bitrán (violon), Javier Montiel (alto), Álvaro Bitrán (violoncelle)
Œuvres de : Celso Garrido-Lecca, Homenaje a Victor Jara (1988) et Homenaje a Violetta Parra (1991, œuvre écrite pour le Cuarteto); Mauricio Arena-Fuentes,Guillatún (1988, œuvre écrite pour le Cuarteto en hommage à Violetta Parra); Diego Vega, Cuarteto (2000) ; Mario Lavista, Reflejos de la Noche (1984) ; Leo Brouwer, Cuarteto #3 (1991-1997), La voz ritual del comienzo del año, Por el cuerpo del viento, La danza imposible, Cambió el ritmo de la noche.
SALLE CORTOT – 78, rue Cardinet – 75017 Paris
9 novembre 2017