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Arts-chipels.fr

Barbara par Mathieu Amalric. Une poésie intense pour un non biopic immodeste

Barbara par Mathieu Amalric. Une poésie intense pour un non biopic immodeste

En petites notations impressionnistes, Mathieu Amalric évoque avec une vision attendrie et émerveillée le personnage émouvant et immense de Barbara. Jeanne Balibar y offre une interprétation magnifique.

Biopic or not biopic ? Malaisé de répondre d’un trait à la proposition de Mathieu Amalric. Complexe, foisonnant, poétique, baroque, curieux, égocentré pourraient figurer parmi les nombreux qualificatifs qu’il faudrait appliquer à cette évocation qui sort à coup sûr de l’ordinaire des biographies filmées.

À petites touches…

L’évocation est délicate, comme esquissée, retenue toujours au bord de l’affirmation. Les ingrédients y sont pourtant : la femme à la fois fragile et capricieuse, un peu fantasque, accros aux médocs, toujours en chasse de jeunes hommes, doublée d’une professionnelle exigeante toujours en éveil, avec son piano au bout des doigts, à la fois séduisante et irritante, immense et si menue, si perdue dans ce monde qui s’accroche à elle.

La chanson parle, évoque, rappelle… que derrière elle fut un événement, une rencontre, des amours souvent déçues, une marginalité, des positions, une souffrance.

Remontent par bouffées ces chansons-comètes emportant dans leur traîne tant de déchirures, de solitude qui nous ont touchées et qui, traversant les générations, nous émeuvent encore. S’invite à nouveau cette voix inimitable qui, partie du plus profond de la gorge, s’élevait avec une pureté cristalline tandis que le piano ajoutait son contrechant délicat.

Surgissent les rencontres. Rencontres qui deviennent parfois passades ou histoires d’amour, amitiés ou collaborations – Brassens, Brel, Béjart, Jacques Tournier qui fut l’un de ses biographes. Reviennent les lieux où elle passa, dans ces incessants déménagements que connut la petite juive toujours en fuite durant l’Occupation. Le village de Précy où cette nomade qui refusait de se fixer pose ses valises. S’esquissent les engagements de la chanteuse – dans les campagnes sur le sida, par exemple. Mathieu Amalric ne reconstitue pas le parcours, il ne donne pas de clés. Il approche, enveloppe, mélange, digresse pour livrer des visions, des apparitions de ces fantômes que nous portons en nous.

Barbara par Mathieu Amalric. Une poésie intense pour un non biopic immodeste

Jouer l’interprétation contre la réalité

Réalisateur exigeant, Amalric est aussi un acteur dans l’âme. En acteur, il perçoit que toute évocation biographique est avant tout une interprétation. Il appliquera le précepte à la lettre, montre le film en train de se faire, les décors qu’on déplace où qui révèlent leur structure en arrière-plan, la comédienne en train de se préparer ou captant, à partir d’un film projeté, mouvements papillonnants du modèle, sa manière d’incliner la tête, son phrasé. Le film navigue entre ces séquences à double lecture et les « reconstitutions » volontairement « vieillies » de la vie de la chanteuse : couleurs passées, images pleines de grain, on se plonge dans ces récitals que les spectateurs ne voulaient pas quitter, applaudissant sans relâche jusqu’à ce que Barbara réapparaisse – « Ma plus belle histoire d’amour c’est vous »…

Amalric met en scène une comédienne, nommée Béatrice – référence à l’inspiratrice de Dante ? – interprétant un personnage réel – des extraits des mémoires de la chanteuse forment parfois la toile de fond – et brouille à loisir les niveaux. S’agit-il de la comédienne interprétant la personnalité de la chanteuse, de l’interprétation que Barbara fit elle-même de sa vie, ou de celle que l’amoureux transi Amalric esquisse dans ce nuage d’électrons multiforme qu’il anime devant nos yeux ? Jeanne Balibar se glisse dans ces multiples peaux, personnage éclatant et éclaté, insaisissable, captant jusqu’aux inflexions de son modèle avec tant d’aisance et de maîtrise qu’on perd tout repère, qu’on reste en suspens dans cette histoire qui n’en est pas une tout en en étant néanmoins une.

Ce que dit cependant le film, c’est que cette très belle déclaration d’amour est celle de Mathieu Amalric, éternel amoureux des femmes. Fallait-il cependant qu’au-delà des prémisses où se mettent en place les ressorts du film – ces imbrications d’histoire si séduisantes et sa place de narrateur mais aussi de Deus ex machina – il continuât de promener son omniprésence obstiné de fou du village, de naïf un peu perdu tout au long ? Cette insistance à se montrer finit par peser, par sembler incongrue, par agacer. Plus de modestie par rapport au modèle aurait été bienvenue et n’aurait en rien gâché le propos du film et son enjeu sensible.

 

Barbara. Film de Mathieu Amalric - 2017

Réalisé par Mathieu Amalric

Scénario : Mathieu Amalric et Philippe Di Folco

Avec : Jeanne Balibar, Mathieu Amalric, Vincent Peiriani, Aurore Clément…

Prix Jean Vigo 2017. Prix Un certain regard de la poésie au cinéma au festival de Cannes 2017

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