8 Avril 2017
Une fable grinçante à la lisière entre fiction et réalité, qui joue à mélanger les niveaux, portée par un acteur épatant.
Citoyen d’honneur raconte l’histoire d’un écrivain argentin, exilé volontaire à Barcelone, qui reçoit le prix Nobel de Littérature. Ferme dans ses convictions antimonarchiques, rétif aux normes de l’ordre établi, etc., il n’hésite pas à choquer pour rester fidèle à ses convictions. Les romans qui lui ont valu le succès mettent en scène son village natal, Salas, une bourgade au milieu de nulle part dans la pampa argentine, à 700 km de Buenos Aires. Mais depuis cinq ans, il est « sec », il n’a plus écrit une ligne et refuse les nombreuses invitations qui lui sont faites. Aussi, quand arrive une lettre émanant du maire de son village natal lui proposant de le faire citoyen d’honneur et de passer quatre jours dans ce pays qu’il n’a pas revu depuis quarante ans commence-t-il par refuser avant, finalement, d’accepter de revenir sur ses traces.
De la farce au drame
C’est ainsi qu’il débarque un beau jour en Argentine pour être accueilli comme un héros. Son arrivée débute sur le mode cocasse : la voiture venue le chercher crève sur un chemin de traverses et, sans roue de secours – comme il se doit dans la région – les voilà obligés d’attendre des secours. Il atterrit dans un hôtel qui ressemble furieusement à une bâtisse de l’empire soviétique dans les années 1940-1950 – « on se croirait en Roumanie », dit-il à son assistante – dans une chambre minable et entame son parcours du combattant – décoration, conférences, présidence d’un jury de peinture, vieux « amis » qu’il ne reconnaît plus ou amis d’occasion qui ont reconnu, ou cru reconnaître, leurs proches dans un de ses romans.
Très vite la situation se gâte. La fille de son ex-petite amie, qui n’a jamais réussi à l’oublier, se jette à sa tête, la compétition de peinture l’oblige à marquer son désaccord avec les prétentions locales, il est pris dans le nœud des intrigues politiques qui l’instrumentalisent et finira, en butte à l’hostilité d’une grande partie de la communauté, traqué comme un gibier par le mari de son « ex » et le petit ami de la jeune fille. Touché, il s’abat. La comédie a viré au drame.
Une confusion volontaire et réjouissante entre réalité et fiction
Mais voici qu’au plan final on retrouve notre écrivain à une conférence de presse donnée à l’occasion de la sortie de son dernier roman qui, justement, raconte cette histoire. Ce que nous avons vu n’était-il qu’une fiction ? ou une histoire vraie romancée et devenue matière à littérature ? Et la trace que l’écrivain porte à l’épaule est-elle due à une chute de vélo ou à la cicatrice laissée par le tir de la chasse à l’homme ? Tout le film oscille ainsi sur la question : où commence la réalité et où réside la fiction ? Quel est le rapport entre la réalité et l’imaginaire ? De quoi est faite la littérature ?
La peinture de la société provinciale argentine fruste, étriquée, est sans concession, comme sans complaisance est la représentation de cet autre monde fait de mondanités et d’artificialité dans lequel baigne l’écrivain en Europe. Oscar Martínez incarne Daniel Montovani, l’écrivain égaré, inadapté dans les deux cas. Petit homme barbu au regard pétillant et doux, il est parfait dans l’attitude hésitante qu’il adopte face à son passé, à la fois revendiqué et rejeté, dans le regard qu’il porte, à la fois complice – une certaine tendresse qui s’exprime malgré tout pour ces « pauvres gens » qui sont un peu sa famille – et analytique, extérieur, décryptant sans complaisance ni concession l’univers invivable dans lequel évoluent les personnages.
Citoyen d’honneur. Film argentin - 2016
Réalisé par Mariano Cohn et Gastón Duprat – 2016
Scénario : Andrés Duprat.
Avec : Oscar Martínez, Julián Larquier Tellarini, Manuel Vicente, Dady Brieva, Andrea Frigerio
Nominé au Lion d’or de Venise
Prix d’interprétation masculine pour Oscar Martínez