22 Janvier 2017
Le Théâtre des Champs-Élysées accueille l’Orchestre de Rotterdam et la pianiste Hélène Grimaud dans un programme d’une grande force, admirablement interprété : la 1re symphonie de Mahler (Titan) et le Concerto pour piano n°3 de Bartók.
Intensité incroyable, et grand bouleversement. Cette 1re symphonie de Mahler est comme un ouragan qui vous saisit et vous emporte, la totalité de l’univers recréé par un musicien démiurge qui manie tour à tour la légèreté et la violence, les références populaires et savantes, le lyrisme le plus exacerbé et les ruptures les plus soudaines.
Un souffle régénérateur
Les cuivres et les vents mènent la danse dans ce maelström qui ne peut laisser indifférent. Aériens avec la flûte et la clarinette, qui distillent chants d’oiseaux, trilles s’élevant dans la quiétude d’un bel après-midi de printemps, plus graves quand le hautbois entame avec la contrebasse un dialogue élégiaque, éclatants quand ils célèbrent la création sous toutes ses formes, tourbillonnante, traversée d’éclairs, en mutation permanente.
On sort de là secoué, fétu balloté au gré des vents que manie ce diable d’homme. J’ignore si le qualificatif de « Titan » qui a été apposé à cette symphonie est le fait de Mahler ou fut inventé par un journaliste quelconque, mais il y a en effet dans cette musique une volonté obstinée et farouche de tout englober, de tout absorber, de s’emparer de l’univers entier pour le mettre en musique. Même les premières mesures de Frère Jacques n’échappent pas à l’emprise de Mahler, qui fait feu de tout bois.
Un lyrisme débridé
L’orchestre philarmonique de Rotterdam interprétait cette symphonie, sous la houlette remuante et dynamique d’un Québécois, Yannick Nézet-Séguin. Sa direction aurait parfois gagné à moins de lyrisme manifeste au profit d’une intériorité plus grande qui aurait renforcé l’intensité de la musique mais c’est un détail face à la finesse et à l’énergie dont il a animé la musique. Chaque instrument était à sa place, avec la bonne hauteur de son pour laisser entendre les autres, pour que les cuivres ne masquent pas les cordes et que même la harpe, pourtant si délicate, reste audible.
Un Bartók presque « classique » ?
Présenté en 1re partie, le concerto pour piano n° 3 de Bartók était déroutant. Composé en 1945, peu avant la mort du compositeur exilé en Amérique après avoir fui le nazisme, il semble presque « classique » lorsqu’on le rapproche des autres créations du musicien. La référence à Bach y est clairement exprimée dans le 2e mouvement. Mais ce retour à des valeurs plus « convenues » surprend. Est-ce parce qu’il souhaitait que le legs qu’il constituait pour son épouse, Ditta Pástory, fût adapté à sa personnalité de mozartienne ? Est-ce parce qu’il pensait que ce dernier morceau lui ouvrirait plus facilement les portes des salles de spectacle américaines ? Pied de nez du destin : comme Mozart avec son Requiem, Bartók ne put complètement achever son concerto avant sa mort mais laissa les instructions pour le faire. Il n’empêche : pas ou peu de tristesse, mais au contraire une énergie sans faille, la force de la vie même, qu’Hélène Grimaud déploie avec brio car la partition pour piano est rapide, mouvementée, tout en urgences fiévreuses, comme le torrent musical qui déferle pour l’accompagner.
Un hymne à la vie et à l’amour
Les instruments se répondent dans cette symphonie pastorale, tandis que le souffle de vent se fait parfois tourbillon. Lorsque dans le 2e mouvement, l’humeur se fait vespérale, que le rythme s’alanguit, que la tristesse s’installe et nous rend pensifs, que le piano égrène et martèle quelques rares notes, la vie continue de sourdre, obstinément, les papillons volent, les poissons frétillent, les lièvres trottent, la nature vibrionne et offre le spectacle de son mouvement permanent, venant interrompre avec vigueur les accès de nostalgie du piano dont l’adieu à la vie comporte des accents déchirants. Il se rebelle, se révolte, s’insurge avant de rejoindre l’orchestre dans le grand mouvement de cette vie qui grouille, déborde de tous côtés et éclate. Un bel hymne à la vie créé par un homme qui va mourir et dédié à la femme qu’il aime.
SF
Théâtre des Champs-Élysées
15 octobre 2016
Orchestre de Rotterdam, dirigé par Yanick Nézet-Séguin
Soliste (pour le Concerto pour piano n°3 de Bartók) : Hélène Grimaud