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Arts-chipels.fr

Toni Erdmann, un zeste d’affection dans le désert des sentiments

Toni Erdmann, un zeste d’affection dans le désert des sentiments

Bien que ce film ait été porté au pinacle par la presse, je reste mesurée. C’est un film un peu lourd, laborieux, d’où n’émerge, au bout du bout, que son thème – et pas le cinéma.

Étrange objet que ce film-là, non exempt de défauts mais cependant attachant. Un vieil écolo à la dérive perturbe la machine bien huilée d’une société sans âme qui arase tout sur son passage au nom de la sacro-sainte rentabilité. Il oppose, et impose, sa présence obstinée, perturbatrice, à sa fille qui n’a pour mot d’ordre que la réussite à tout prix, en avalant toutes les couleuvres, et qui se fait l’exécuteur des basses œuvres d’une mondialisation qui fait fi des individus au nom du profit.

Un trouble-fête  décalé

Alors qu’Inès, détachée à Bucarest où se développe le nouveau capitalisme, se bat pour se fondre dans le moule d’un monde où servilité et drogue font bon ménage, Winfried débarque comme un chien, dans un jeu de quilles, d’abord père sexagénaire encombrant et décalé dans une société très hype, puis « masqué », dans les frusques et les frasques de Toni Erdmann, tour à tour coach, ambassadeur ou investisseur, avant de prendre la défroque de l’homme des bois, tout de poil vêtu, clins d’œil aux traditions populaires bulgares (et à bien d’autres traditions populaires, d’ailleurs, car ce mythe de l’homme sauvage a hanté toutes les traditions, au moins montagnardes, d’Europe). Un trouble-fête tranquille, un clown triste, non violent, dont la seule présence révèle l’inanité du monde impitoyable où nous vivons. Au travers de l’hostilité non dénuée de tendresse d’Inès face à son père, qui s’oppose à l’affection têtue qu’il lui témoigne, refusant d’abdiquer en l’abandonnant à son sort, ce sont deux modèles de société qui s’affrontent et dont nul, à la fin, ne sort vraiment vainqueur. Pas de vibrant plaidoyer, ici, ni d’indignation vertueuse étalée en tartine de bonne conscience ; une peinture au couteau émaillée de longs silences, apposée en larges plaques sur la toile de la vie.

Un bon sauvage d’un nouveau genre

Le procédé du « bon sauvage » catapulté en plein cœur d’une société pour en révéler les travers pourrait apparaître comme éculé si la réalisatrice, Maren Ade, n’en renouvelait le genre avec ce personnage au pseudonyme évocateur (l’homme terreux ou l’homme de la terre) dont les déguisements et l’attitude provocatrice le placent dedans-dehors par rapport à la société, et en introduisant ce rapport père-fille, symbole de l’évolution du temps qui passe autant que du conflit des générations, qui sépare et rapproche tout à la fois ces deux mondes antagonistes.

Une réalisation plutôt lourde et appuyée

On s’esclaffe, on se gausse, on rit, mais on rit jaune car le rire est grinçant, ironique, dévastateur. Cependant quel dommage que ce film n’ait pas été largement raccourci dans sa durée, densifié par là-même ! On comprend la volonté de montrer la pesanteur qui saisit les personnages et les fait plier, mais fallait-il s’y attarder de manière si appliquée, si laborieuse ? Quelques ellipses auraient été bienvenues, avec un peu de légèreté. Du coup, le film tient plus au thème lui-même et au comique de situation qu’au génie de la mise en images. Un soupçon d’éclats, un rythme plus soutenu auraient été les bienvenus. Il n’empêche : on passe un bon moment avec cette comédie douce-amère et on aurait tort de bouder son plaisir devant ce film, à la fois ancré dans la vie comme elle vient et déjanté dans son propos.

 

Toni Erdmann de Maren Hade

Film allemand (2016), European Film Award 2016 du Meilleur film, Meilleur réalisateur, Meilleur scénario pour Maren Hade ; Meilleur acteur pour Peter Simonischeck, Meilleure actrice pour Sandra Hüller.

Avec : Peter Simonischeck, Sandra Hüller, Michael Wittenborn

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