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Moi, Daniel Blake. De la colère à la nausée

Moi, Daniel Blake. De la colère à la nausée

Un film magnifique, difficilement soutenable. Une dénonciation virulente de la machine sociale qui broie, inéluctablement, les individus.

Je sors du cinéma où je suis allée voir I, Daniel Blake, et je comprends mieux la violence de la colère qui s’exprimait dans les commentaires qu’en avaient fait mes amis. C’est en effet un film très dur, très désespéré, qui vous atteint au plus profond. Je suis moi-même sortie en larmes du cinéma et je n’étais pas la seule.

Daniel Blake, veuf, menuisier de 59 ans, est victime d'un accident cardiaque, ce qui l'oblige à faire appel pour la première fois de sa vie à l’aide sociale. Ses médecins lui interdisent de travailler. Mais il est déclaré apte par une compagnie privée sous-traitant pour l'administration la « chasse aux tire-au-flanc ». Les services sociaux le privent donc de l'allocation à laquelle il croyait avoir droit. Il peut faire appel, mais la procédure sera longue. On lui conseille, en attendant, de s'inscrire au chômage.

Commence alors une descente aux enfers. Blake est pris dans le piège d’une administration tatillonne qui multiplie les humiliations. Il se heurte à une succession d’individus qui en sont à peine et finira par décéder au moment de pouvoir plaider sa cause. Dans le texte qu'il destine à une commission d'appel, il précise : « Je suis un homme, pas un chien. Un citoyen — rien de moins et rien de plus. »

Plus kafkaïen qu’ubuesque

Point ici de destin tragique, mais une machine administrative qui broie tout sur son passage, ajoutant, pour ceux qui sont déjà des victimes, la honte d’exister au cortège des turpitudes subies. Comment avons-nous fait pour, au cours de deux siècles habités par la vision du progrès, laisser sur le bord du chemin les inadaptés de toute sorte ? Comment avons-nous fait, fiers de nos idéaux d’éducation et de bonheur pour tous, pour que tant de gens se retrouvent aujourd’hui à la marge, dépassés, impuissants ? Quel système fou, emballé, avons-nous créé, qu’il ne puisse déroger à la règle, gérer l’exception, se montrer simplement humain ? Le film de Ken Loach est un réquisitoire implacable. Le désespoir qui y fait son lit ne laisse pas d’interroger. Comment résister à une vision si absolument noire qu’elle ne laisse rien entrevoir à l’horizon, pas la moindre petite lueur, pas le plus petit souffle d’air ? Ce sentiment d’impuissance individuelle, nous sommes nombreux à le ressentir. La réponse, elle, selon le film, ne saurait être individuelle. Ou en tout cas pas seulement.

Un espoir au bout du tunnel ?

Quelles que soient les relations d’entraide qu’instaurent les personnages, elles ne pèsent pas suffisamment pour faire pencher la balance. Ne peut-on néanmoins penser que toutes ces petits bouts d’humanité mis bout à bout finiraient par créer un mouvement, courant presque imperceptible au départ avant de grossir et de devenir flux entraînant ? Qu’elles finiraient par peser d’un poids réel sur les institutions ? Ou bien faut-il attendre que le système pourrisse de lui-même pour faire émerger la prise en compte de l’humain ? Je suis sûre en tout cas que ce que nous vivons aujourd’hui aura une fin – peut-être violente mais je ne pense pas qu’on puisse continuer ainsi longtemps.

En attendant, continuer à préserver certaines valeurs de solidarité, c’est déjà résister. Peut-être est-ce cela qui doit survivre à cette désespérance…

 

I, Daniel Blake

Réalisation : Ken Loach

Palme d’or du Festival de Cannes 2016

Scénario : Paul Laverty

Avec : Dave Johns, Hayley Squires, Natalie Ann Jamieson

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