13 Novembre 2016
Au début du XXe siècle, ce peintre espagnol connut une célébrité comparable à celles de Whistler ou de Sargent. L’exposition que lui consacre le musée des impressionnismes de Giverny rend hommage au magnifique coloriste et au peintre de la lumière et du mouvement qu’il fut.
En 50 peintures, elle évoque le parcours de l’artiste depuis son premier voyage à Paris en 1885 jusqu’à sa consécration et présente à travers de grands tableaux comme dans des études ce qui fait la caractéristique de son style si personnel.
Des bonheurs quotidiens pleins de douceur
Comment ne pas être séduit par cette évocation des bonheurs simples de la vie : des scènes de baignade, des jeux d’enfants, des femmes au bord de la mer, une forme d’éternité de la vie quotidienne – si les costumes changent, les pratiques ont traversé les siècles. Et puis une attention pleine d’humanité portée à la population laborieuse : pêcheurs ravaudant leur voile, femmes triant les olives ou les poivrons, paysan saisi au bord de la mer avec son attelage de bœufs sous un ciel de charbon, ou femmes vendues à l’encan dans cette Traite des blanches qui les montre fatiguées, assoupies pour certaines, visages d’enfants devenues trop vite femmes, en attente d’un futur inacceptable auquel elles se résignent déjà et auquel la vieille femme, à la droite du tableau, donne corps et réalité. Bref, une grande douceur empathique sans mièvrerie ni fadeur,
Un trait enlevé et dynamique
L’approche picturale, extrêmement intéressante, révèle un sens de la dynamique, du mouvement, du geste jeté. Il emporte une voilette dans le vent, la fondant dans l’écume de la mer tandis qu’au lointain la petite tache rouge d’une veste de femme vient rompre l’harmonie de ces ocres atténués des teintes bleutées tirant vers le pervenche, mâtinées de blanc. Ou bien fixe, un peu à la manière de Klimt, un moment d’éternité dans le calme d’un crépuscule de bord de mer éclairé de tons qu’on croirait dorés tant le jaune se pare de nuances et de reflets d’or tandis que le fond mêle les ocres et les bruns, le vert d’une eau presque stagnante, le pervenche de l’horizon, les silhouettes parées de teintes violacées des rochers.
Surprises picturales
Les cadrages et le choix des séquences sont parfois surprenants. Un enfant nu, protégé par une claie laissant en partie passer la lumière, observe on ne sait quoi au lointain – la mer, une scène sur le sable ? – tandis que le soleil trace sa verticale lumineuse et répond aux linges qui s’agitent dans le vent. Dans un autre tableau, une femme apparaît au second plan, une fleur dans les cheveux, masquée en partie par un énorme carton bleu – rempli d’esquisses ? – tandis que trône au premier plan un énorme pot de fleurs et que le tableau semble coupé en diagonale, la partie de gauche ne laissant subsister qu’un siège repliable dont les teintes rouges mêlant carmin et orange, laissant le spectateur dubitatif sur le sujet réel du tableau.
Un maître de la couleur
La couleur, vous l’aurez compris, fait partie intégrante de la magie de ces moments furtifs, saisis avec rapidité et précision. Ce diable d’homme la manie avec une dextérité confondante, usant du fondu des teintes grises, beige et blanches comme dans cette scène d’une jeune mère couchée avec son bébé dans un lit (Mère) où la masse neigeuse du couvre lit et des oreillers forment comme un nuage d’où émergent seulement les deux visages de la mère et de l’enfant, dans le détail incroyablement riche en nuances de la robe d’une dame en gris (Clothilde à la robe grise), dont le corsage plissé joue avec la lumière sur un fond où dominent, encore une fois, blancs, beiges et gris. Ou encore dans cette scène (Sautant à la corde) où les enfants sautant à la corde (suggérée, esquissée légèrement au lieu d’être immobilisée) se poursuivent autour d’un bassin où les deux rubans rouge de la jeune fille qui se tient comme en apesanteur au premier plan répond à la large bande rouge qui définit au loin la ligne d’horizon. La couleur explose dans les rouges carmins extraordinairement intenses, les jaunes et orangés qui illuminent ou traversent les tableaux, les nuances de roses plus ou moins soutenus, mêlés à l’ocre ou à l’orangé, les verts allant du pistache au sapin, les blancs éclatants, les bleus profonds dispensateurs de paix et de profondeur. À cet égard le portrait de pêcheur que Sorolla réalise, est emblématique : il lie orange vif et bleu, nuances de vert, jaune citron. L’expression concentrée, presque grave du personnage, lui confère une dimension presque atemporelle que tempère le navire dont le panache fume au loin, sur la ligne d’horizon
Figurer l’impression
Et puis, il y a cette manière surprenante de mêler des figures nettement dessinées, renvoyant à une vision immédiate telle qu’on la perçoit dans la réalité et des éléments complètement arrachés à ce réel, taches de couleurs renvoyant à une forme, tel le siège pliable en forme de cage thoracique évoqué plus haut qui forme la deuxième partie du tableau au pot de fleurs, ou ces jeux d’enfants près de la rivière : un enfant, nu, semble contempler les reflets mouvants dans l’eau, éclatant en touches rapides, mal cernées, dans un décor plus défini.
Les études exposées prennent ici toute leur importance. On y voit la rapidité de la touche, la manière de saisir une impression, un mouvement, en usant non seulement de la juxtaposition des taches mais aussi de l’épaisseur de la peinture dans une forme d’abstraction qui laisse de côté la figure pour se concentrer sur la fugitivité du moment, son caractère éphémère et unique.
On comprend mieux, à regarder par le menu cette œuvre mêlant les études de petit format à des toiles de dimensions considérables, pourquoi ce peintre dont la carrière française s’étend sur une vingtaine d’années (1895-1919) fut considéré comme un peintre impressionniste.
Musée des impressionnismes – 99, rue Claude Monet – 27620 Giverny
Tél. 02 32 51 94 65. mdig.fr / contact@mdig.fr
Du 14 juillet au 6 novembre 2016. Ouvert tlj 10h-18h